Manufacture des Gobelins
Présentation
C'est Jehann Gobelin, un teinturier en provenance de Reims, qui s'établit vers 1440 dans ce quartier Mouffetard où coule la rivière Bièvre, et fit sa réputation avec la teinture rouge écarlate obtenue à partir des cochenilles.
En 1601, Henri IV met en place un vaste programme de développement des manufactures de tapisserie pour limiter l'achat à l'étranger des tapisseries et tapis dont la cour fait un grand usage. Il installe dans cet atelier de teinturerie Gobelin, deux tapissiers flamands : Marc de Comans et François de La Planche.
En 1662, Colbert rachète l'ancienne propriété des Gobelins pour la Couronne et y regroupe différents ateliers. Colbert eut l'idée de créer et fabriquer des meubles destinés aux différents palais du roi. Pour cela il centralisa aux Gobelins les ateliers épars dans Paris (rue de la Chaise, au Louvre, à la Trinité) , il rattacha également la fabrique des Tapis de la Savonnerie, située sur la colline de Chaillot, dont les ateliers ne rejoignirent la Manufacture des Gobelins qu'en 1826 ; l'ensemble comprenait des ébénistes, des orfèvres, des lissiers, des sculpteurs, des peintres, etc. Louis XIV y donna une impulsion considérable en créant par un édit de 1667 La manufacture royale des Meubles de la Couronne. Cette manufacture était régie par un système de lois, sous l'administration du super intendant des arts et bâtiments du roi, et soumise à l'autorité de Charles Le Brun (1619-1690), premier grand peintre du roi.
Parmi les plus célèbres tentures dessinées par Le Brun on peut citer l'Histoire d'Alexandre, les Éléments, les Saisons, ainsi que l'Histoire du Roy dont la visite de Louis XIV à la Manufacture exposée au Château de Versailles
Les maîtres étaient seuls responsables du processus de fabrication. Une exemption d'impôts était accordée aux travailleurs ainsi qu'à l'entretien des apprentis. Cette application perdure encore de nos jours, la Manufacture des Gobelins est la seule entreprise dirigée ainsi. Sous la direction de Le Brun, la production de meubles par la Manufacture acquiert une renommée internationale et ce pendant une trentaine d'années. Mais les guerres épuisant les caisses du royaume, la Manufacture ferme ses portes en 1694.
Jules Hardouin-Mansart (1699-1708) remet en marche l'établissement et confie la direction à plusieurs contrôleurs, dont Pierre Mignard en 1690 ; le peintre Charles Coypel tissa notamment l'Histoire de Don Quichotte qui fut reprise de nombreuses fois ; François Boucher, peintre favori de la marquise de Pompadour, créa et tissa Lever et Coucher du Soleil ainsi que la célèbre Tenture des Dieux en 1763.
À la veille de la Révolution, la Manufacture devient Manufacture nationale.
Au début du XIXe siècle, les tapisseries glorifient le règne de Napoléon avec la représentation des victoires, et l'Empereur aime offrir des tentures aux visiteurs prestigieux., 28 portraits furent réalisés pour la Galerie d'Apollon du Louvre.
Entre 1850 et 1871, sous la direction de Pierre-Adolphe Badin, les Tapisseries de Beauvais et celle des Gobelins réalisent un programme de décoration pour les palais impériaux.
La Manufacture des Gobelins est rattachée au Mobiliser national depuis 1937. Elle tisse toujours comme il y a quatre siècles d'après des œuvres contemporaines. La tapisserie est l'aboutissement d'un dialogue entre l'artiste qui créé le carton et des lissiers, puis à la création de la nouvelle matière, au travail des teinturiers puis du lissier. De ce dialogue entre tous ces intervenants naît une nouvelle création.
La Manufacture nationale des Gobelins dépend de l'administration générale du Mobilier national et des Manufactures nationales de tapis et tapisseries qui regroupe : le Mobilier national, la Manufacture de tapisserie des Gobelins, la Manufacture de Beauvais avec ses ateliers situés à Paris et à Beauvais, la Manufacture de la Savonnerie avec ses ateliers de Paris et de Lodève, ainsi que les Ateliers de dentelle d'Alençon et du Puy.
La Manufacture nationale des Gobelins est classée aux Monuments historiques depuis le 24 mars 1993 : [1]
Les bâtiments
Deux bâtiments distincts forment la Manufacture. Le bâtiment de façade en brique et pierre, avenue des Gobelins, a été édifié par Formigé en 1914. Il comporte une coupole carrée, décorée d'un haut-relief de Landowski. Des cariatides d'Injalbert encadrent les fenêtres du premier étage. Les différents métiers de la Manufacture sont représentés par des médaillons de Louis Convers et Jean Hugues
Les constructions situées à l'arrière sont réparties sur plusieurs cours et datent du XVIIe : le bâtiment central allongé décoré de trophées et de guirlandes a été celui occupé par Charles Le Brun ; dans la cours Colbert se dresse la chapelle Saint Louis de 1723, aujourd'hui déconsacrée, elle sert de salle d'exposition. À côté de la chapelle, se trouve un atelier de teinture, toujours en activité de nos jours, où le chimiste Eugène Chevreul travaillait au XIXe.
Une partie des bâtiments avait été incendiée par la Commune en 1871.
De nos jours, les ateliers de la Manufacture emploient 30 agents et disposent de 15 métiers à tisser.
Les Ateliers des Gobelins
La Manufacture des Gobelins et celle de Beauvais confectionnent de la tapisserie en utililsant la méthode de haute lice et de basse lice. Il est très difficile de différencier le travail de haute lice et celui de basse lice. Les tapisseries sont tissées sur des métiers dont la chaîne est verticale, dits de haute lice, parce que les fils servant à manœuvrer une des nappes de la chaîne que l'on appelle lice, sont tendus en hauteur.
Le tapissier occupe un siège entre le métier et le carton lui servant de modèle, la face tournée côté du jour et le métier interposé entre lui et les fenêtres. L'artiste ne voit son modèle qu'en se retournant ; de petits miroirs placés devant la tapisserie lui permettent de suivre l'évolution de son travail point par point.
L'ensemble des cinq tentures de l' Histoire de Don Quichotte, exécuté entre 1732 et 1736, en soie et laine, dans les ateliers des Gobelins, d'après les cartons de Charles Antoine Coypel, est devenu propriété d'État depuis 1978, et classé Objet historique, N° d'inventaire OA 10664 [2]
Les Ateliers de Beauvais
La Manufacture de tapisseries de Beauvais, privée, fut créée en 1664 à la demande de Louis XIV en vue de développer une fabrication française et réduire l'importation de tapisseries flamandes. Colbert confie à Louis Hinart (originaire de Beauvais) la création de cette manufacture dans cette ville picarde qui offrait un important marché d'étoffes diverses. La Manufacture des Gobelins était exclusivement réservée au roi, alors que la Manufacture de Beauvais était conçue comme une entreprise privée.
La Manufacture de Beauvais connut son apogée jusqu'en 1755, sous la direction artistique de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), peintre et graveur, qui fit fructifier la Manufacture grâce aux collections qu'il sut mettre en place, notamment en réalisant plus de deux cents dessins des Fables de la Fontaine qui serviront à la création de tapisseries.
Mais l'entreprise destinée à survivre grâce aux seuls achats privés, doit sa survie aux commandes royales. En 1794, la réouverture des Ateliers (fermés en 1793) fut assurée par l'État, et en 1804 la production était réservée aux résidences impériales. .
La Manufacture de Beauvais fut administrativement rattachée au Mobilier national en 1936 (les Gobelins le seront en 1937), et fut transférée à Aubusson en 1939 lorsque les bâtiments de Beauvais furent bombardés. Ils seront rapatriés en 1940 aux Gobelins dans un nouveau bâtiment construit à cet effet.
La technique de la Manufacture de Beauvais est différente, elle s'appelle de basse lice : le métier étant placé horizontalement devant le tapissier et les lices commandées par des pédales. La trame est réalisée à l'aide d'une flûte en bois chargée de laine, soie, lin ou coton, passée entre les fils de chaîne. Le dessin est reproduit sur un calque placé et collé sous les nappes de la chaîne et le carton à reproduire est suspendu derrière le licier. La tapisserie est roulée au fur et à mesure de l'avancement. Les tapisseries sont toutes marquées du monogramme MBN (Manufacture Beauvais Nationale).
À l'origine, les thèmes exécutés par la Manufacture étaient plus frais et plus légers que ceux des Gobelins car non soumis à la célébration royale, comme Les Verdures, Les jeux d'enfants d'après Damoiselet, des Chasses nouvelles de Oudry ; les verdures se transformeront progressivement en scènes animées comme les Amusements champêtres de Oudry ou encore la Noble pastorale par Boucher.
Parmi les très nombreuses réalisations, les quatre pièces murales des Jeux russiens réalisées en laine et soie, dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, d'après les cartons de Jean-Baptiste Le Prince, sont classées dans le Patrimoine mobilier (Palissy) [3]
Au début du XXe siècle, l'administrateur du Mobilier national fit appel à Lurçat (1892-1966) afin de revenir à la sobriété originelle de la tapisserie, puis dans la seconde moitié du XXe siècle, la création contemporaine sera implantée grâce en grande partie à Bernard Anthonioz nommé par André Malraux. De très nombreux artistes collaborent avec la Manufacture, tels Matisse, Picasso, Le Corbusier, Derain, Vasarely, etc....
En 1989, de nouveaux ateliers sont ouverts à Beauvais dans d'anciens abattoirs rénovés, avec l'installation de dix métiers (douze métiers restant toujours à Paris sur le site des Gobelins). À Beauvais sont regroupés le bureau, la bibliothèque, le suivi administratif, les travaux de recherche, la préparation des cartons et des laines, l'ourdissage des chaînes, le tissage.
Les Ateliers de la Savonnerie
La Manufacture de la Savonnerie a été créée sous Henri IV, par Pierre Dupont et Simon Lourdet, dans les anciens locaux d'une savonnerie installée au pied de la colline de Chaillot, d'où le nom de savonnerie. En 1663, Colbert place la Manufacture sous l'autorité royale avec Charles le Brun chargé de la direction. Pendant une vingtaine d'années, sortiront de la Manufacture les treize tapis destinés à la galerie d'Apollon au Louvre, ainsi que les 93 tapis de la Grande Galerie du Louvre. Ces tapis sont toujours rectangulaires, de grandes dimensions (9 m x 4 m), et reproduisent parfois les voussures d'un plafond avec un motif central de rinceaux et de feuilles d'acanthes, et les angles généralement décorés de trophées ou de cornes d'abondance. Ils portent tous le chiffre du roi.
L'Empire et la Restauration perpétue la tradition de Louis XIV avec la réalisation de grandes compositions pour le Grand Cabinet de l'Empereur, et pour la Salle du Trône du palais des Tuileries sous Louis-Philippe.
La Manufacture royale de la Savonnerie fut rattachée en 1826 au site des Gobelins.
Les Ateliers de la Savonnerie, dédiés à la production de tapis, utilisent la méthode de haute lice ; le point de la Savonnerie est une technique typiquement française. Le tapis fabriqué constitue un velours en coupant les rangées de nœuds joints avec un fil de chanvre, à l'aide de ciseaux de façon très régulière. La succession de points noués de laine, reliés entre eux par une boucle, construit peu à peu, à chaque rangée, l'image tissée du tapis, à raison de 8 à 20 points au cm², puis une armature de lin tissée horizontalement entre chaque rangée vient bloquer les nœuds tout en rendant le tapis plus solide. Ce n'est que lorsque les boucles sont coupées que le velours apparaît après une première tonte. La tonte finale est la plus délicate, puisqu'elle consiste à remettre tous les brins de laine à leur place, et redonner toute la précision aux lignes et motifs en feutrant légèrement le velours afin qu'il ne bouge plus dans le temps.
Au cours du XXe siècle, Vincent Van Gogh, Paul Cézanne, dessineront pour la Manufacture ; Les nymphéas de Claude Monet seront reproduits en 1911. Des modèles de Victor Vasarely et de Georges Mathieu ont été spécialement conçues pour elle.
En 1964, un atelier de tissage est créé à Saint Maurice l'Ardoise dans le Gard, pour favoriser l'insertion des femmes venues d'Afrique du Nord ayant quitté l'Algérie suite à l'Indépendance. Dès 1965, cet atelier est rattaché à l'administration du Mobilier national. En 1989, devenu annexe de la Manufacture de la Savonnerie, l'atelier emménage dans de nouveaux locaux à Lodève.
De nos jours, les ateliers de Lodève et de Paris tissent essentiellement d'après des cartons d'artistes contemporains comme Soulages, Zao Wou Ki, Garoute et Bonetti, Portzamparc, etc., même si il leur arrive de reproduire des tapis de copies anciennes.
La production de ces tapis n'est pas commercialisée, elle sert uniquement à meubler les bâtiments de l'État ou à des cadeaux aux chefs d'État étrangers.
Notes et références
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