Les noms de familles du Nord
Le département du Nord est sans doute l'un des plus riches en patronymes, ne serait-ce que par la présence sur son territoire de deux grandes familles de noms : d'une part les noms français (picards le plus souvent, parfois wallons), de l'autre les noms flamands, le terme "néerlandais" étant linguistiquement plus correct. Il est inutile de rappeler les raisons historiques de cette situation bien connue. On se contentera ici d'une brève étude onomastique dégageant les grandes caractéristiques de chacune de ces deux familles.
Spécialités picardes
On l'a déjà dit dans une précédente chronique, la langue picarde se reconnaît d'abord au traitement du C devant la voyelle A : alors que dans la plupart des régions françaises il s'est transformé en CH, ici il conserve le son K, ce qui nous donne, parmi les noms les plus portés, Carpentier (charpentier), Caron et Carlier (charron), ou encore Catteau (château).
Autre spécialité, commune aux noms picards, normands et bretons, l'utilisation de l'article défini pour évoquer un nom de métier ou un sobriquet. On ne s'étonnera pas que le nom le plus répandu dans le Nord soit Lefebvre (le forgeron), largement en tête devant Leclercq (le clerc), Lemaire ou Leroy. Rappelons qu'ici le mot "roi" est un sobriquet, qui a pu désigner les nombreux rois élus lors des fêtes dont les Nordistes ont toujours été si friands. Parmi les divers surnoms, les plus répandus sont Legrand, Lebrun, Leleu (le loup), Lesage, ou encore les sobriquets évoquant des titres ou des fonctions divers, Lemoine, Lecomte, Leduc.
De nombreux noms de famille désignent des lieux. On les reconnaît en général à la présence de la préposition DE ou de l'article contracté DU. Les plus répandus sont Dubois (variante : Dubus) et Dupont, mais aussi Descamps (des champs), Delannoy (originaire de Lannoy ou d'un autre lieu évoquant une aunaie), Delattre (celui qui habite près du cimetière, sans doute également la place publique). Lorsque le toponyme est féminin, apparaît alors une autre spécialité picarde, celle d'utiliser un article aux allures très masculines : ainsi, Delcroix, Delecroix cohabitent avec Delacroix, tout comme on trouve des Delcour(t), Delecour(t), Delacour(t). Appartiennent à la même catégorie les nombreux Delporte, Delmotte ou Delplanque.
En fait, d'une manière plus générale, les Picards ont toujours eu des problèmes pour différencier à l'écrit le masculin du féminin, la lettre E apparaissant ou disparaissant au gré des fantaisies de chacun. C'est ce qu'écrivait déjà au XVIe siècle Charles de Bovelle, un érudit picard qui se plaignait des fâcheuses habitudes prises par les gens autour de lui : "En vérité, ils ajoutent la lettre E à la fin du mot qui ne la comporte pas, ils la retranchent au mot qui l'a". Le phénomène nous invite à être très prudents lorsqu'on voit apparaître dans le Nord ce que beaucoup considèrent comme des matronymes (noms transmis par la mère). Ainsi Rousselle, si fréquent dans la région, n'est pas un matronyme, mais tout simplement une variante masculine de Roussel.
Spécialités flamandes
Comme pour les noms picards, les patronymes évoquant un métier ou un surnom sont très souvent accompagnés d'un article défini, mais en néerlandais cet article est DE. Le plus courant des noms flamands portés dans le Nord est Devos, autrement dit le renard, surnom probable d'un rouquin plus que d'un homme rusé. Autre animal fréquent, le loup (Dewulf). Le forgeron (Desmet) est lui aussi très présent, tout comme le clerc (Declerck mais aussi Declercq, un nom où semblent cohabiter français et néerlandais, un phénomène fréquemment rencontré).
Quant aux noms de lieux, ils sont le plus souvent précédés de la préposition VAN, qui devient avec article VAN DE, VAN DEN, VAN DER, cette dernière forme se contractant souvent en VER. Parmi les noms de famille ainsi formés, le plus répandu dans le Nord est Vandamme (de la digue), suivi par Verhaeghe (de la haie), Vandenberghe (de la montagne, de la colline), Vermeulen (du moulin), Verbeke (du ruisseau), Vandaele (de la vallée) ou encore Verstraete (de la route).
Autre spécialité flamande, l'usage d'un génitif germanique en -en. C'est ainsi que Maas, Maes, diminutifs du prénom Thomas formés par aphérèse (suppression du début du nom) deviennent fréquemment Maasen, Maesen, Maessen. Ce à quoi vient s'ajouter un second génitif, la finale -S, qui donne alors Maassens ou Maessens. Le phénomène est constant en entraîne d'innombrables variantes.
Quelques équivalences
Il m'a semblé amusant, pour terminer ce bref article, de noter quelques équivalences entre français et néerlandais pour les noms les plus fréquemment rencontrés. Cet exercice n'est d'ailleurs pas innocent, car on est en droit de penser que ce type de traduction a été souvent utilisé dans les registres paroissiaux, entraînant des changements de patronymes brutaux mais pas vraiment inattendus. Bien entendu, les formes néerlandaises et picardes peuvent se présenter sous de nombreuses autres graphies, une spécialité que j'ai oublié de souligner.
- Boulanger -----> Debacker
- Carpentier -----> Timmerman
- Delcroix -----> Vercruysse
- Delestrée, Delestrez -----> Verstraete
- Delhaye -----> Verhaegue
- Desprez -----> Vermeersch
- Dubois -----> Van Houte(n)
- Dumont -----> Vandenberghe
- Dumoulin -----> Vermeulen
- Dupont -----> Verbrugge(n)
- Guillaume, Wuillaume -----> Willems
- Leclercq -----> Declerck
- Lefebvre -----> Desmet
- Leleu -----> Dewulf
- Lequeux -----> Decock
- Leroy -----> Deconinck
- Martin -----> Maerten(s)
- Nicolas, Colas -----> Claeys
- Sauvage -----> De Wilde
- Thomas -----> Maes
Jean Tosti