Les Marques Artisanales : Poinçons, Estampilles et Marques de Faïence et porcelaines
Présentation
Les objets anciens (vaisselle, bijoux, outils, meubles) regorgent de poinçons et de signatures d'artisans. Ceux-ci permettent de remonter aux fabricants et de dater leur origine et leur lieu de fabrication
Estampille
L'estampille des ferronniers est une marque utilisée dans le domaine de la ferronnerie. Elle correspond à un poinçon apposé par les artisans de la ferronnerie (les ferronniers) pour identifier leurs ouvrages métalliques, en particulier ceux faits de fer ou de fer forgé. Les ferronniers étaient des artisans spécialisés dans la fabrication d'objets en métal, notamment des portes, des grilles, des balustrades, des serrures, des clés, des objets décoratifs ou des outils en métal.
L'estampille des ferronniers servait plusieurs fonctions importantes :
- Identification de l'artisan : comme pour les poinçons d'orfèvrerie ou de joaillerie, l'estampille permettait de marquer un ouvrage avec l'identité de l'artisan qui l'avait fabriqué. L'estampille pouvait comporter le nom ou les initiales de l'artisan, et parfois une image symbolique ou un emblème représentant son métier.
- Certificat de qualité : L'estampille était souvent utilisée pour garantir la qualité du travail réalisé par l'artisan. Occasionnellement, elle attestait également que l'objet avait été fabriqué selon les normes de la corporation à laquelle l'artisan appartenait, ou qu'il avait été examiné et approuvé par des autorités qualifiées.
- Garantie légale : dans le cadre des corporations, les ferronniers étaient soumis à des règlements stricts qui régissaient la qualité et les pratiques professionnelles. L'estampille servait aussi de garantie légale qu'un objet avait été fabriqué dans le respect de ces règles. Elle permettait ainsi de prévenir les fraudes et d'assurer une certaine uniformité dans la production.
- Marques héréditaires : dans certaines régions, les marques étaient héréditaires, ce qui signifiait qu'elles étaient transmises de génération en génération au sein d'une même famille d'artisans.
À Paris, les ferronniers devaient faire apposer leur marque sur leurs ouvrages, et cette marque était inscrite dans des registres tenus par la Chambre des métiers ou par l'Hôtel de Ville. Les ferronniers de Paris étaient soumis à un règlement qui imposait l'utilisation d'une marque pour garantir la qualité de leurs ouvrages. Ces marques étaient inscrites dans les registres des corporations et pouvaient être contrôlées par des inspecteurs ou des juge-maîtres.
Les estampilles des ébénistes servaient pour signer leurs œuvres. Les estampilles des ébénistes étaient apposées de manière discrète, souvent sur des endroits peu visibles des meubles, comme l'intérieur des tiroirs, sur la face arrière ou sous le plateau. Elles étaient en général gravées ou martelées sur le bois, et dans certains cas, un moulinage pouvait être utilisé pour imprimer le marquage.
Les types d’estampilles pouvaient varier, mais elles incluaient généralement :
- Les initiales de l'artisan ou de la maison d'ébénisterie
- Le nom de l'artisan ou un emblème symbolisant l'atelier.
- La date de fabrication.
- Des symboles spécifiques représentant les compétences ou les spécialisations de l'ébéniste
L'utilisation d'estampilles remonte au moins au 17ᵉ siècle, avec des statuts établis dès 1637 qui exigeaient que chaque maître menuisier marque ses ouvrages. Cette obligation visait à protéger le monopole des menuisiers sur la fabrication de meubles et à lutter contre la concurrence déloyale des ouvriers libres.
La loi du 1ᵉʳ janvier 1740 imposa aux ébénistes de marquer leurs meubles et objets en bois avec une marque pour garantir la qualité et la provenance. Cette loi avait pour but de lutter contre les contrefaçons et de protéger le marché de l'artisanat du bois.
En 1743, les statuts de la Jurande des maîtres menuisiers-ébénistes ont été formalisés, rendant l'estampille obligatoire pour tous les membres de la corporation. Un édit royal en 1751 renforça cette obligation et permit également de contrôler la qualité des pièces produites.
L'ordonnance de 1776, qui régissait les corporations d'artisans, incluait des règles spécifiques sur le marquage des meubles et des objets en bois, enjoignant aux ébénistes d'utiliser des estampilles pour identifier leurs ouvrages.
Les estampilles servaient aussi à contrôler la qualité des ouvrages. Les jurés de la corporation pouvaient inspecter les meubles et appliquer leur propre poinçon (JME - Jurande des Maîtres Ébénistes) en plus de l'estampille personnelle de l'artisan.
Le Poinçon
Le poinçon a une longue histoire, et son origine remonte à l'Antiquité. Utilisé à l'origine comme un outil ou un signe d'identification, le poinçon a évolué au fil des siècles pour devenir un instrument important dans différents domaines, notamment l'artisanat, la bijouterie et la fabrication d'objets métalliques.
Les premières formes de poinçons étaient utilisées par les artisans pour marquer leurs œuvres. Dans l'Égypte ancienne, la Grèce et Rome, on marquait des objets d'art, des bijoux ou des pièces de monnaie pour indiquer leur origine ou garantir leur authenticité. Les poinçons servaient aussi à inscrire des motifs ou des inscriptions sur des métaux, souvent en relief ou en creux.
C’est également au Moyen Âge qu’apparaît l’idée de poinçonner pour attester une norme ou une taxe, sous le contrôle des guildes et des autorités locales.
Types de poinçons
- Poinçon de maître
- Il s'agit du poinçon personnel de l'artisan qui a atteint la maîtrise. Chaque maître fait fabriquer son poinçon qui doit comporter des initiales, des symboles (Fleur de Lys couronnée à Paris, les armoiries de la ville en province) et deux grains de remède qui indiquent la teneur en métal précieux de l’alliage.
- Les maîtres y mettaient leur propre symbole, ça pouvait être une coquille, une étoile, un cœur, un globe...
- Poinçon de charge des fermiers
- C'est un poinçon fiscal apposé par le fermier général au moment de la fabrication de l’objet. Il engage l’orfèvre à s’acquitter des droits sur les ouvrages en métaux précieux une fois ceux-ci terminés. Il s’agit d’une lettre, accompagnée d’une fleur de lys ou d’une couronne, qui désigne l’Hôtel de Monnaie de la Généralité. Pour Paris, c'était un A couronné dont le dessin change à chaque changement du fermier.
- Le poinçon de jurande ou poinçon de la maison commune
- Qui garantit le titrage du métal, la conformité de la proportion d’argent dans l’alliage. Il est appliqué sur la pièce ébauchée par les élus de la corporation. Il est constitué d’une lettre qui change chaque année et d’un symbole de la ville, la couronne pour Paris ou l’initiale de la ville. Les orfèvres de Paris formaient un des six corps de marchands de la capitale. Pour la lettre A elle dura 2 ans, elle commence en 1506 à Paris. Tous les 23 ans on reprend l'alphabet. Mais il n'y a pas d'U ni J ni W.
- Poinçon de décharge
- Ce poinçon déclarait l'impôt payé, c'était un sigle choisi par le fermier général. Tantôt une tête d'oiseau, un trèfle, un caducé, une tête de profil casqué, une feuille de néflier, un soleil, une tête de griffon.
- Poinçon de garantie
- Il atteste de la pureté du métal (par exemple, un poinçon de l'État ou de la ville).
- Poinçon de ville
- Il peut inclure une marque géographique (comme un symbole ou une lettre spécifique d'une ville).
Historique
Étienne Boileau fut nommé prévôt de Paris en 1261 par Louis IX. Le prévôt était un haut fonctionnaire chargé de l’administration, de la justice et de la police dans la ville. Il est principalement célèbre pour la rédaction du Livre des Métiers, un recueil des règlements et statuts des corporations parisiennes. Ce document, commandé par le roi, visait à codifier et à encadrer les activités des nombreux métiers pratiqués dans la capitale.
Ce Livre des métiers établit des règles précises pour les artisans parisiens. Parmi ces règles figuraient celles qui exigeaient que les objets fabriqués soient conformes à des standards de qualité, incluant l'usage de marques ou de signatures distinctives, qui sont les ancêtres des poinçons modernes.
Une ordonnance royale émise par Philippe le Bel en 1300 a imposé que tous les objets en argent fabriqués dans le royaume soient marqués par un poinçon officiel.
En Mars 1378, une ordonnance de Charles V créé le Poinçon de Maître [1]
L'ordonnance de 1563 de Charles IX régulait le poinçonnage des métaux précieux, et chaque orfèvre devait inscrire un poinçon personnel garantissant la provenance et la qualité des ouvrages.
En 1667, sous Louis XIV, le Code des métiers codifie le système de poinçonnage en France. Chaque objet en métal précieux doit être marqué et des contrôles réguliers sont effectués pour vérifier la conformité avec les normes établies. La Maison des monnaies prend le contrôle de ces certificats et des règles strictes sont mises en place pour les poinçons, y compris un poinçon d'État pour garantir l'authenticité des objets.
Au moment de la réforme des impôts en 1674, Colbert ordonne le droit de marque et de contrôle par la Ferme générale. Dans chaque province et chaque ville, les fermiers généraux sont chargés du contrôle des ouvrages en or et en argent.
La loi de 1797 réorganise les pratiques liées aux métaux précieux et exige un poinçon unique d'État pour les métaux précieux, administré par l'État. Cette législation impose un système strict de poinçonnage pour les objets en or, argent et platine, visant à garantir leur pureté et leur origine.
Marques de faïence et de porcelaine
Les marques les plus anciennes sur la faïence sont souvent rudimentaires et consistent en des symboles, monogrammes ou initiales peints à la main sous l'email (croix, étoiles, fleurs de lys).
C'est au 16ᵉ siècle en France que l'on voit apparaître les premières marques de faïence clairement identifiables. Les faïenciers commencent à inscrire des marques ou des signatures sur leurs pièces pour signaler leur provenance, leur qualité et quelquefois leur atelier. C'est sous le règne de François Iᵉʳ qu'un édit royal, datant de 1536 ordonne aux faïenciers de Paris de marquer leurs œuvres, en particulier pour les produits destinés à la vente, afin de garantir leur origine et leur qualité.
Sous le règne de Henri II, les règles concernant les marques de faïence se renforcent. Les faïenciers des principales manufactures françaises, tels que celles de Nevers, Rouen et Montauban, adoptent des systèmes de marquage de leurs productions.
Au 17ᵉ siècle, les marques des faïenciers deviennent encore plus systématiques, avec des exigences légales pour inscrire des marques d’atelier, des sceaux ou des symboles sur leurs pièces. On les trouve dans les grands centres de production de faïence comme Nevers, Rouen et Paris.
La faïence et la porcelaine étaient fortement encadrées par les autorités royales, notamment sous les règnes de Louis XIV, Louis XV, et Louis XVI.
- Les lettres patentes et privilèges royaux
- Les manufactures royales étaient souvent créées sous la protection du roi, avec des privilèges exclusifs. Ces privilèges incluaient des droits sur l’usage des marques.
- la Manufacture royale de Sèvres a obtenu un privilège exclusif en 1756 pour produire de la porcelaine tendre avec des marques spécifiques, comme le célèbre double L (monogramme de Louis XV), accompagné d’une lettre pour l’année de fabrication.
En 1764, un règlement royal impose l’utilisation de marques spécifiques pour différencier les productions artisanales des productions des manufactures royales, garantissant ainsi leur authenticité et leur origine.
Les faïenciers indépendants devaient également apposer une marque sur leurs produits, fréquemment sous la forme d’un symbole ou de leurs initiales.
Des symboles comme les lettres, les monogrammes ou les armoiries sont courants. Certaines marques incluent des dates ou des chiffres pour indiquer l'année de fabrication.
Les corporations des faïenciers et des potiers avaient leurs propres règles internes qui exigeaient aux artisans de marquer leurs œuvres pour identifier la production et éviter les fraudes qui étaient consignées dans les statuts des corporations.
En 1791, les corporations sont abolies, et avec elles, certaines des réglementations concernant les marques. Cependant, les grandes manufactures comme Sèvres continuent d’utiliser des marques officielles, souvent liées à l’État, pour garantir la qualité et l'origine des produits.
Avec la montée en puissance de l’industrialisation, des villes comme Limoges (pour la porcelaine) adoptent des marques distinctives, généralement gravées ou imprimées au tampon. Les grandes manufactures déposent leurs marques comme des propriétés intellectuelles. La loi française sur les marques de fabrique de 1857 protège les marques déposées des ateliers et manufactures. Cette loi marque un tournant dans la régulation des marques de faïence et de porcelaine, car elle permet de sanctionner les contrefaçons.
Recherches généalogiques
Certaines archives locales ou régionales peuvent conserver des documents relatifs à la production de faïence, tels que des registres d'ateliers, des contrats de travail ou des inventaires.
Par exemple, dans des centres comme Nevers ou Rouen, les faïenciers étaient fréquemment enregistrés dans les archives municipales ou dans les comptes des corporations.
Les marques de faïence peuvent parfois être liées à des noms de familles. Un artisan faïencier qui portait un nom de famille particulier pouvait utiliser une marque unique ou avoir son propre poinçon. Par la suite, des générations successives de cette famille pouvaient continuer de travailler dans le même atelier ou utiliser une marque similaire.
Grâce à ses marques, vous pouvez aussi identifier des régions spécifiques où ces faïenciers travaillaient, ce qui pourrait guider vos recherches dans les registres d’état civil ou les archives locales.
Les certificats de poinçonnage et les informations relatives aux marques de garantie apposées sur des objets en métaux précieux (or, argent, platine) peuvent aider le généalogiste dans sa recherche concernant son ancêtre et/ou la famille d'orfèvre.
Il est possible aussi de trouver des registres de Jurande. Ces registres de jurande étaient particulièrement fréquents dans des métiers très régulés, tels que ceux de l'orfèvrerie, de la joaillerie, de l'armurerie, et d'autres corporations artisanales. Les registres des orfèvres contiennent des informations sur les serments prêtés par les artisans avant qu'ils ne puissent exercer légalement leur métier et utiliser un poinçon de jurande. Les registres de la guilde des ébénistes peuvent aussi mentionner les serments de qualité que les artisans prenaient avant de pouvoir vendre leurs meubles ou autres objets en bois.
Ces registres étaient corporatifs, ils consignaient le serment par écrit qui permettait de garantir que l'artisan ne pouvait pas se dérober à son engagement, car il était inscrit dans un document officiel. Le registre de la corporation servait de preuve en cas de litige. Si un artisan ne respectait pas les règles du métier, il pouvait être convoqué et jugé sur la base du serment qu'il avait prêté et consigné dans le registre. Le registre permettait également de suivre les membres actifs de la corporation, d'enregistrer leur entrée dans le métier (comme apprentis, puis maîtres), et de s'assurer qu'ils suivaient bien la réglementation en vigueur.
On peut trouver dans les archives départementales et municipales, les statuts des corporations de faïenciers ou de potiers, des règlements municipaux imposant des marques pour garantir la qualité des productions locales. À Moustiers, des règlements locaux exigeaient l’usage de marques dès le 17ᵉ siècle.
Les manufactures royales, comme celles de Sèvres, de Chantilly, ou de Vincennes, tenaient leurs propres registres, souvent conservés dans des archives spécifiques. Ces registres peuvent contenir :
- Les lettres patentes accordant le statut de manufacture royale.
- Les modèles de marques ou poinçons adoptés.
Dictionnaire
- Fermier général
- Un fermier général était un financier sous l'Ancien Régime en France, chargé de la collecte des impôts indirects pour le compte du roi.
- Jurande
- La jurande était un engagement solennel que les artisans, les membres de la corporation ou les apprentis prenaient pour assurer qu'ils respecteraient les règlements de leur profession, notamment ceux relatifs à la qualité du travail, aux mesures, aux prix et aux normes de fabrication. Elle représentait aussi l'obligation de respecter une certaine déontologie professionnelle.
- Tolérance sur la Teneur
- Les grains de remède sont utilisés pour indiquer une tolérance à la pureté du métal précieux.
- Exemple : dans le système de poinçonnage français, un titre standard pour l'argent est de 958 millièmes (soit 95,8 % d'argent pur).
- Les deux grains de remède permettent une légère variation, ce qui signifie que la pièce peut être acceptée même si sa pureté est légèrement inférieure, par exemple à 957 millièmes.
- Traditionnellement, ces grains sont représentés sous forme de petits points placés autour du poinçon principal, souvent à côté d'autres éléments comme la fleur de lys ou les initiales de l'orfèvre.
- Ces deux points existent depuis 1493.
Bibliographie
- Livre des Métiers d'Etienne Boileau
- Catalogue de l'Orfèvrerie ancienne - hôtel Drouot - Gallica
- Statut des maîtres de l'orfèvrerie
- Dictionnaires des marques & monogramme - Gallica
- Dictionnaires des marques européennes de la porcelaine
- Marques et monogrammes des faiences poteries, grès...
- Manufacture de Sèvres
Liens utiles (externes)
- Poinçons Base du Ministère de la Culture
- Base autor ressources biographiques et identification des auteurs
- Poinçons d'orfèvrerie Archives Nationales
- Inventaire des archives de la manufacture de Sèvres
- Catalogue collectif des musées nationaux