Corderie royale

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Telle que l'a rêvée le Roi-Soleil, la Corderie royale détient une place majeure au sein de l'arsenal de [[Rochefort|Rochefort]].
À l'époque, c'est la plus longue manufacture d'Europe, et elle sera surnommée « Le Versailles de la mer ».
Elle est d'ailleurs vouée à fabriquer les plus longs et les plus gros cordages du pays, d'où sa longueur.
Pendant plus de deux siècles, les cordes qui y sont produites vont équiper environ 500 bâtiments de la flotte du Ponant.

La Corderie royale au cœur de l'arsenal de Rochefort
Photo B.ohland

Le choix du roi

Carte de Cassini :
la Charente et Rochefort
  • Quand son premier ministre Mazarin décède en 1661, Louis XIV fait un bilan de la Marine royale : des ports et des arsenaux peu performants et seulement une petite vingtaine de navires en bon état. La Marine anglaise, elle, en compte environ 150 ! Le roi veut alors renforcer sa Marine, la rendre aussi puissante que son armée de terre, afin qu'elle puisse rivaliser avec celle d'Angleterre. Pour ce faire, il souhaite trouver un port sûr, côté Atlantique, et en faire un arsenal de pointe.
  • Le projet est confié au ministre Jean-Baptiste Colbert, lequel crée une commission de cinq membres chargés de trouver le lieu idéal. Après investigations sur toute la côte, leur choix s'arrête sur Rochefort-sur-Charente, qui semble présenter de multiples avantages (Voir la section "Arsenal maritime" sur la page de [[Rochefort|Rochefort]]).
J.B Colbert nomme alors son cousin Colbert de Terron "Intendant général" et lui conseille : « Faites vite, beau et grand »[1].

Un chantier instable

  • Colbert de Terron est content d'avoir trouvé un beau terrain au bord de la Charente, suffisamment vaste pour édifier une manufacture de 400 mètres de long, et les travaux commencent en 1666. Aussitôt l'architecte François Blondel se heurte à une difficulté de taille : l'endroit est marécageux, formé de terre glaise et molle. Les sondages successifs ne permettent pas d'atteindre le fond. (Les spécialistes savent maintenant que la couche de vase sous la Corderie fait 30 mètres d'épaisseur).
  • Qu'à cela ne tienne, l'architecte décide de faire reposer le bâtiment sur « une immense grille de charpente en plateforme »[2]. La forêt alentour est défrichée. On choisit de belles pièces en chêne, de 30 cm de section, que l'on assemble en quadrillage pour former un espèce de radeau. Au-dessus sont encore rajoutés des madriers de 10 cm d'épaisseur. Ce "radier" immergé, composé de 1400m3 de bois au total, offre une assise stable. La véritable construction peut désormais démarrer...
  • Ce sera l'un des plus grands chantiers du royaume, comprenant également d'autres bâtiments typiques d'un arsenal, et employant plus de 2000 ouvriers...

Une réalisation royale

La Corderie : moitié de la façade côté Charente Photo B.ohland

Construction : afin de ne pas déstabiliser le radier, une rangée de pierres est posée d'un côté et de l'autre, simultanément, avant de commencer la deuxième rangée, et ainsi de suite jusqu'en haut.
Matériaux : la pierre très claire utilisée est du calcaire provenant de la carrière de Crazannes, en amont de Rochefort. Pour la toiture à la surface impressionnante, ce seront des tuiles rondes et des ardoises au niveau des mansardes.
Dimensions : la Corderie est un bâtiment de 374 mètres de long, composé d'un corps de logis de 8 mètres de large, flanqué de deux pavillons aux extrémités. Au centre du corps de logis, un double pavillon de grande taille fait saillie sur la façade côté Charente.
L'ensemble représente une surface au sol de 4500 m2.
Style : la manufacture est traitée dans le style classique de l'époque, avec toiture à la Mansart et davantage de soin du côté du fleuve. De nombreuses fenêtres sont encadrées de pierres en bossage. Les lucarnes à l'étage sont surélevées par un fronton arrondi ou triangulaire, surmonté d'une boule. Le pavillon central honore Louis XIV : son monogramme est sculpté dans un cartouche au-dessus du portail. La façade tournée vers la ville est traitée de manière plus sobre.
Affaissement : après seulement trois ans de travaux, le bâtiment est achevé en 1669. Cependant, quelques années plus tard, il commence à s'affaisser du côté de la ville. Il est donc décidé d'y ajouter « onze contreforts »[3] : leur objectif est atteint car l'ensemble se stabilise.
Représentation : le peintre Joseph Vernet a réalisé en 1762 une vue panoramique du port de Rochefort, mettant en valeur la façade ensoleillée et le pavillon central le long de la Charente.

Du chanvre aux cordages

La matière première

Une broie à chanvre.
Patrimoine du Moulin-bas de Walheim
  • La fabrication de cordages nécessite du chanvre qui a la particularité d'être composé de fibres très longues et solides (certaines peuvent atteindre jusqu'à 4 mètres).
  • Cette plante est cultivée dans certaines provinces françaises comme l'Anjou, l'Auvergne ou la Bretagne.
Rochefort en importe également d'Asie, d'Italie du Sud ou de Russie.


  • Pour pouvoir être utilisé, le chanvre, une fois débarrassé de ses grains, doit être préparé.
- Il faut le « rouir » en le trempant dans l'eau environ une dizaine de jours, ce qui va permettre de délier entre elles fibres et écorce appelée « chènevotte ».
- Après un temps de séchage, les cultivateurs éliminent la chènevotte à l'aide d'une broie pour ne garder que la fibre.
- Ensuite la filasse est rassemblée en faisceaux dits « queue de rat », pliés et liés, ou tordus sur eux-mêmes, qui sont conditionnés en ballots pour l'acheminement vers les arsenaux.


Livraison de ballots de chanvre dans le port de Rochefort.
Détail du tableau de Joseph Vernet.



  • À la Corderie royale, une commission examine leur qualité : le chanvre recherché doit avoir une couleur uniforme, être fin, doux au toucher.
    « Les chanvres du Nord (en particulier de Riga en Russie) et d'Italie sont les plus appréciés au XVIIIe siècle[4].


  • Le chanvre est stocké dans les magasins à chanvre, à l'étage et à l'abri de l'humidité, en attendant que la filasse subisse un affinage.


Le peignage

Différents peignes

Dans cet atelier, la filasse de chanvre subit deux traitements successifs.
1) Les espadeurs finissent d'éliminer la chèvenotte si cela n'a pas été entièrement fait par les producteurs. Ils n'utilisent pas de broie, mais des palettes de bois avec lesquelles ils frappent les tiges de chanvre.
2) Les peigneurs affinent la filasse à l'aide de peignes de différentes tailles (appelés aussi sérans), jusqu'à obtenir une belle fibre. Pour cela ils jettent fortement une poignée de chanvre sur le peigne et la tirent vers eux.

Les fibres trop courtes ou les résidus ne sont pas perdus. C'est « l'étoupe » qui va être utilisée en complément du « bitord »[5] pour calfater les interstices des planches de la coque des navires, afin de les rendre étanches.

Le filage

Un rouet
Des tourets
  • Ce travail constitue le pré-requis indispensable aux étapes suivantes.
Dans toute la longueur de la Corderie (ou au minimum sur 300 mètres), les fileurs façonnent « le fil de caret », élément basique de n'importe quel cordage.
  • Pour cela, ils utilisent un rouet muni d'un crochet auquel est nouée une extrémité du chanvre. La rotation du crochet va obliger les fibres à se tortiller sur elles-mêmes. Au fur et à mesure que les fileurs reculent dans l'atelier, ils approvisionnent le fil en formation avec de nouvelles fibres prélevées dans leur « peignon »[6] de chanvre, tout en régularisant l'épaisseur du fil formé et sa tension sur toute sa longueur.
  • Une fois terminé, le fil de caret est enroulé sur un touret pour qu'il ne s'emmêle pas et soit transporté plus facilement vers l'atelier suivant.


L'atelier de cordage

C'est le domaine des cordiers et maîtres cordiers qui vont assembler plusieurs fils de caret pour en faire des torons puis des cordages. Et cela en deux étapes.
1) le toronnage : les cordiers disposent de deux appareils, le "chantier" et le "carré" (qui est mobile), chacun avec une manivelle, et disposés aux extrémités de l'atelier. Entre les deux, on place un toupin, possédant un certain nombre de rainures qui vont guider régulièrement les fils de caret. Au fur et à mesure que l'on tourne les manivelles, le toron se forme, réduisant sa longueur et faisant avancer le carré.
2) le commettage : les extrémités du toron sont ensuite attachées à la même manivelle et ceux-ci sont tordus sur eux-mêmes : ils « se commettent » et vont former le cordage souhaité. À la fin du processus la longueur obtenue a été réduite d'un tiers par rapport au départ. Une corderie d'un longueur de 300 mètres donnera donc des cordages de 200 mètres (ce qui correspond à une encablure).
Plus tard, les progrès de la mécanisation ont facilité le travail des cordiers. Voici ci-dessous la maquette d'une machine à toronner, ainsi qu'une machine à commettre de la Corderie royale, avec tous ses crochets, datant de la fin du XIXe siècle.

Le goudronnage

Les étapes du goudronnage
  • La plupart des cordages étant destinée à la navigation, il faut les imperméabiliser en partie. Pas tous, pour ne pas les alourdir, comme ceux réservés aux manœuvres des voiles, mais au moins ceux du gréement appelé "dormant", c'est à dire les cordages reliés à la mâture, car le goudron leur procure meilleure résistance et longévité. D'ailleurs, au XVIIe siècle, les avis étaient partagés quant au choix entre cordages "blancs" et cordages "noirs".
  • Le goudronnage peut se faire directement sur le fil de caret, ou bien alors sur le cordage terminé. La Corderie royale pratiquait les deux méthodes.
  • Au préalable, il faut assécher les cordages contenant encore une part d'humidité : ils sont donc laissés environ une semaine dans une étuve (située au milieu du corps de logis, dans le double pavillon). Ensuite ils sont trempés dans un bain de goudron, temporairement, puis égouttés.
  • Le goudron employé est obtenu en laissant diverses essences de bois résineux se consumer et suinter.


La main d'œuvre

Pour mettre en œuvre ce savoir-faire, il fallait bien sûr pouvoir compter sur l'énergie humaine.
À la fin du XVIIIe siècle, l'effectif employé à la Corderie était le suivant :
2 maîtres-cordiers, 141 fileurs et 31 forçats fileurs, 24 forçats tourneurs de roue, 40 apprentis, 20 peigneurs, 6 goudronneurs et 34 forçats goudronneurs.
(Source[7])

Simple cordes ? Ou cordages élaborés ?

  • L'utilisation de cordes, à terre, est communément connue. Les produits d'une corderie destinés à la Marine sont beaucoup plus spécifiques. Les cordages diffèrent selon leur composition, leur taille, leur diamètre (donc le nombre de torons), mais aussi leur utilisation ( mâture, gréement, amarrage, etc ...).
  • « Sous Louis XIV, un vaisseau de premier rang est équipé de près de 110 tonnes de cordages »[8].
  • Les cordages de la nouvelle Hermione : 24 kilomètres (réalisés à la Corderie royale)
  • Afin de garantir des produits résistants, la Corderie effectue des tests mécaniques de chaque cordage.


Menus cordages Cordages simples ou aussières Cordages composés ou grelins
Bitord : petit cordage de 2, 3 ou 4 fils de caret, tortillé et goudronné Aussière : cordages les plus répandus, faits de 3 à 6 torons et ayant une circonférence de 8 à 10 cm Grelin : il est composé de plusieurs aussières ; c'est un cordage 2 fois commis (dans un sens puis dans l'autre). Il sert surtout à l'amarrage ou au remorquage
Merlin : 2 ou 3 fils de caret : sert à coudre les ralingues Lignes de sonde : corde à laquelle est fixée une sonde
Lignes d'amarrage, de loch, de pêche
Câble : encore plus gros que le grelin : pour l'ancre
Lusin : constitué de 2 fils : sert à coudre les voiles Quaranteniers : les plus petites des aussières (seulement 3 torons) Gumme : pour les grappins
Fil à voile : sert à assembler les laizes de toile à voile Ralingues : cousues sur les bords des voiles pour éviter les déchirures Pataras : gros câble reliant le haut du grand mât à la tête du navire
Cargue : petit cordage qui sert à replier une voile Manœuvres : de 3 à 4 torons d'épaisseurs variables :
- haubans, marchepieds, étais, pour soutenir les mâts
- bras, cargues, drisses, écoutes, amures, pour manœuvrer les voiles
Lève-nez : petit cordage servant à lever le point d'armure d'une brigantine Tournevires : cordage de grosse dimension pour l'ancre et son câble
Aussières de port, francs-funins : pour les manœuvres de port

Évolution et déclin

  • Au XIXe siècle, la roue tourne. Le chanvre est concurrencé par de nouvelles fibres : acaba, sisal, coco. Des machines sont inventées pour faciliter le travail manuel, puis l'électricité arrive. En même temps, le métal se substitue aux matières végétales pour les aussières ou grelins. Enfin, peu à peu, la voilure laisse place à la machine à vapeur et à l'hélice...
  • L'année 1867 voit la fin de l'activité de la Corderie royale. Le bâtiment sert alors à d'autres activités. Puis, en septembre 1926, l'arsenal de Rochefort est officiellement fermé.
  • Le bâtiment est laissé à l'abandon, puis subit un nouveau coup du sort en 1944 : une bonne partie de l'arsenal est dynamité et la Corderie incendiée. Il n'en reste qu'un champ de ruines que les broussailles vont petit à petit coloniser.

La renaissance

  • La Corderie n'a pas dit son dernier mot. L'amiral Dupont, qui est préfet maritime de Rochefort en 1964, entreprend de débroussailler le bâtiment à l'aide des militaires. L'armée obtiendra d'ailleurs pour ce travail le prix "Chef-d'œuvre en péril". Trois ans plus tard, le 10 octobre, l'édifice est classé aux Monuments historiques[9].
  • La ville de Rochefort en devient propriétaire et finance une grande partie des travaux de réhabilitation. L'extérieur est reconstruit à l'identique, l'intérieur avec des matériaux modernes, et le chantier va durer une dizaine d'années.
  • Différentes institutions s'y installent, dont le centre International de la Mer et, en 1988, la Bibliothèque Médiathèque. La Corderie revit : 200 personnes y travaillent, nombre de visiteurs s'intéressent aux expositions. Puis le succès du site augmente encore avec le défi Hermione lancé par l'Association Hermione-La Fayette.

En photos

Bibliographie

    • Michaël LIBORIO, La Corderie royale de Rochefort, l'histoire d'une grande manufacture, édité par La Corderie Royale - Centre International de la Mer, août 2004, ISBN 2-909921-11-5
    • Laurence CAILLAUD-ROBOAM, L'Hermione, La Crèche, Geste éditions, 2015, ISBN 978-2-36746-285-1
    • Sophie HUMANN et Emmanuelle TCHOUKRIEL, La renaissance d'une frégate, ou la gloire retrouvée de l'arsenal de Rochefort, Nantes, Gulf Stream Éditeur, 2007, 28 pages, ISBN 978-2-35488-003-3

    Voir aussi (sur Geneawiki)

    Liens utiles (externes)

    Notes et références

    1. Page 6, in Sophie HUMANN et Emmanuelle TCHOUKRIEL, La renaissance d'une frégate, ou la gloire retrouvée de l'arsenal de Rochefort, Nantes, Gulf Stream Éditeur, 2007, 28 pages, ISBN 978-2-35488-003-3
    2. Page 3, in Michaël LIBORIO, La Corderie royale de Rochefort, l'histoire d'une grande manufacture, édité par La Corderie Royale - Centre International de la Mer, août 2004, ISBN 2-909921-11-5
    3. page 4, in Michaël LIBORIO, La Corderie royale de Rochefort, l'histoire d'une grande manufacture, édité par La Corderie Royale - Centre International de la Mer, août 2004, ISBN 2-909921-11-5
    4. Page 8, in Michaël LIBORIO, La Corderie royale de Rochefort, l'histoire d'une grande manufacture, édité par La Corderie Royale - Centre International de la Mer, août 2004, ISBN 2-909921-11-5
    5. Cordage goudronné en fibres naturelles, enfoncé dans les interstices à l'aide d'une pointe et d'un maillet
    6. Paquet de chanvre porté à la ceinture et contenant assez de fibre pour la longueur souhaitée
    7. Corderie royale : panneau explicatif dans l'exposition permanente
    8. 2e de couverture de Sophie HUMANN et Emmanuelle TCHOUKRIEL, La renaissance d'une frégate, ou la gloire retrouvée de l'arsenal de Rochefort, Nantes, Gulf Stream Éditeur, 2007, 28 pages, ISBN 978-2-35488-003-3
    9. Base Mérimée


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