Cité souterraine de Naours
Un village sous terre, en-dessous du village existant, c'est le cas de Naours, où les habitants ont habilement aménagé d'anciennes carrières en souterrains-refuges, bien utiles pour se cacher lors d'invasions ou dangers.
Situation
Située à environ 17 km au nord d'Amiens, la cité souterraine se trouve sur le ban communal de Naours, entre l'Authie et la Somme. Prononcé "Nor", le toponyme du village est dérivé du vieux français nochere signifiant « gouttière »[1]).
La localité s'est épanouie au pied de la colline du Guet, puis s'est trouvée doublée de tout un réseau souterrain, à 33 mètres de profondeur, un véritable village auto-suffisant.
Au sommet de la colline, et communiquant avec la cité enterrée, se dressent deux moulins à vent sur pivot.
Historique
Carrières, souterrains-refuges traditionnels : les muches
- Le sol de la région Nord-Picardie, constitué au niveau secondaire d'un étage crétacé (c'est à dire de craie), s'est révélé très vite propice au creusement de carrières. Elles étaient exploitées à la fois pour la construction d'habitations et pour le marnage[2].
- À partir du XVe siècle, ces cavités créées artificiellement ont habilement complété les systèmes défensifs des bourgs grâce à leur dissimulation, pour cacher des denrées, abriter du matériel ou servir de poste de commandement. Parallèlement, elles ont servi d'abri à de multiples combattants ou maquisards, et même aux habitants lors des invasions et pillages.
- Dans la langue picarde, "se cacher" se dit se mucher, et ces divers abris ou habitations sommaires sont appelées des muches (parfois aussi caves[3], forts, ou retraites). Il en existe dans divers villages, par exemple à Domqueur, composées d'une cinquantaine de pièces, ou à Heudicourt.
- Au XVIIe siècle, les habitants se sont mis à aménager les souterrains de Naours, les organisant en une véritable cité, l'une « des plus vastes du Nord de la France »[4], où ils pouvaient demeurer plusieurs jours en vivant décemment avec leur bétail et leurs vivres. Les fileuses et les tisseuses de lin y trouvaient une température et une hygrométrie favorables à leur travail.
- Puis, le besoin de se cacher diminuant, la cité est tombée dans l'oubli, la végétation a masqué son entrée.
Redécouverte du site
- Nommé curé de Naours en 1885, l'abbé Ernest DANICOURT[5] est aussi féru d'archéologie et d'histoire. Intrigué par des éboulements, il les met en relation avec un document mentionnant des carrières et entreprend inlassablement de retrouver ces cavités.
- Quand il repère l'entrée des souterrains en décembre 1887, il lance un appel à la population, du haut de sa chaire, pour l'aider à déblayer les gravats et remettre les muches en état. Les travaux vont s'échelonner sur une vingtaine d'années. En tant qu'archéologue, l'abbé organise des fouilles minutieuses et recense tous les graffitis et tout le "trésor" recueilli (par exemple des pièces d'or du temps de Charles VI et Charles VII, attestant de l'existence de ces grottes à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle). L'abbé fait aussi venir diverses sociétés d'archéologie et organise un congrès.
- Enfin il rédige une brochure à destination des visiteurs, et le site devient une petite curiosité, sous l'œil vigilant du prêtre qui s'y consacre jusqu'à sa mort en 1912.
Utilisation pendant les guerres
- Durant la Guerre de Trente ans (1618-1648), la cité souterraine est fortement utilisée, pour se cacher à deux reprises, mais aussi pour entreposer le sel de contrebande.
- Lors de la Grande guerre, de nombreux soldats y séjournent durant leurs périodes de repos ou de convalescence, parfois accompagnés de guides. En premier lieu, des troupes françaises en 1914 et 1915. Puis lors de la Bataille de la Somme, arrivent de nombreux soldats étrangers, notamment britanniques et australiens. Ces hommes y ont laissé de nombreux graffitis, sortes de signatures attestant de leur présence : croix, blasons ou monogrammes, dates, noms de famille et noms de lieux. Dépassant le nombre de 3 000, ces graffitis constituent « la plus grande concentration d'inscriptions 14-18 connue à ce jour »[6].
- Pendant la Seconde guerre mondiale, les britanniques y installent des réserves de carburants, puis, en 1943, c'est au tour des Allemands d'occuper les souterrains, afin d'y aménager une base de défense, en liaison avec le "Mur de l'Atlantique". Ils installent alors éclairage, groupes électrogènes et ventilation. Hitler serait même venu visiter cette installation.
Description
À 33 mètres sous terre, la cité-refuge s'étend sur trois kilomètres et occupe un espace de 30 000 mètres3. Elle comprend un réseau organisé de 28 galeries d'une hauteur maximum de 2 mètres, formant des quartiers reliés entre eux par des espaces de vie commune ou d'autres rues de communication comme la galerie transversale. Les muches atteignent le nombre de 300, et l'ensemble de la cité « pouvait accueillir plus de 2 000 personnes »[7].
Conditions de vie
- Dans ces souterrains, la température demeure en permanence à 9,5 °, sans donner l'impression de froid car l'atmosphère n'est pas humide. « Des puits d'aération »[8] permettaient la circulation et le renouvellement de l'air.
- Les familles se regroupaient par muches, chacune pouvant accueillir jusqu'à 12 personnes. De la paille était étalée sur le sol pour un peu de confort et de chaleur.
- Les villageois disposaient de toutes les commodités pour rester sous terre plusieurs jours. Ils s'approvisionnaient en eau, la nuit, grâce à une proche rivière, puisaient dans leurs denrées de base emmenées avec eux, et pouvaient cuire leurs aliments. Un four à pain était intégré dans le conduit de la cheminée centrale (d'un diamètre de 1 mètre à sa base).
- Le bétail était aussi descendu, et des salles souterraines étaient aménagées en bergerie, écurie et étable. Une petite forge venait compléter l'équipement collectif.
- Afin que la fumée sortant en surface ne soit pas repérée, au risque de révéler cette cachette au grand jour, une installation permettait de la faire sortir dans les maisons des meuniers sur la colline.
- De même, il existait une fausse entrée, constituant un piège pour les ennemis : des enfants attiraient les assaillants par cette ouverture et courraient se cacher tandis que les adultes capturaient les envahisseurs.
Salles particulières
Des pièces répondaient au besoin de vie en collectivité :
- en premier lieu, une chapelle de trois nefs, pouvant accueillir jusqu'à 400 personnes. Son autel était dédié à la Vierge Marie.
- une place des ancêtres, une rotonde, une salle du dôme, une salle des congrès et une salle des fêtes, certaines d'entre elles comportant une colonne ou un monument commémoratif,
- un prétoire avec deux cachots, et une salle de garde.
Les moulins surplombant la cité
Par ses cheminées, la cité communiquait avec les moulins situés sur le replat de la colline. Certains étaient déjà présents aux XIVe et XVIe siècle, comme l'attestent des documents d'archives, mais ont disparu au fil du temps.
Les moulins actuels sont au nombre de deux mais ne sont pas des constructions nouvelles.
Ils sont cependant caractéristiques des moulins à pivot des Flandres : posés sur un socle en briques, ils pivotent en fonction de la direction des vents. Leurs ailes mesurent 12 m de long.
- Le moulin du Belcan, produisant de l'huile, était auparavant à Linselles, dans le Nord, où il a fonctionné jusqu'en 1910 et serait le plus ancien moulin des Flandres. Il a été racheté par la cité souterraine en 1960, démonté et remonté à l'identique. Il est inscrit aux Monuments historiques depuis 1961[9], mais n'est plus en état de fonctionner.
- Le moulin Westmolen, dit "Moulin de Stavèle", est un moulin construit à Stavèle en Belgique en 1620, reconstruit en 1795 et qui a fonctionné plus de trois siècles. Il a été racheté en 1963 dans le but de fournir des pièces détachées afin de restaurer l'autre moulin. Il est lui aussi inscrit aux Monuments historiques[10], depuis 1976, afin d'être préservé. Mais se détériorant peu à peu, il a été entièrement démonté en 2017 et est en cours de restauration, projet porté par l'Association Norpatrimoine, mis en œuvre par le cabinet d'architecture Richard DUPLAT et les charpentiers de Troyes encadrés par Erwin SCHRIEVER. Il peut à nouveau produire de la farine et va être mis en valeur par des animations pédagogiques.
Ouverture au tourisme et compléments de visite
- Après les guerres du XXe siècle, la cité souterraine est devenue un lieu touristique, dont l'attrait a été renforcé par l'aménagement d'un parc extérieur avec activités.
- La cité sous terre a été complétée de deux salles récentes, centrées sur deux thèmes différents :
- l'une met en scène les vieux métiers picards tels que bourrelier, écoucheux, tireloteuse, etc....
- la seconde, ouverte en 2020 et présentant une muséographie contemporaine, se définit comme un centre d'interprétation de la Grande Guerre. De nombreux documents retracent le contexte de cette guerre et mettent en avant les loisirs ou occupations des soldats pendant leur temps de repos (dont la visite de la cité faisait partie). Cette salle met donc en avant de nombreux graffitis de numéros de matricule ou de signatures, ainsi que des portraits des soldats qui ont pu ainsi être identifiés avec parfois une reconstitution de leur biographie.
En photos
Bibliographie
- Collectif d'auteurs, revue 100 merveilles de France à voir au moins une fois dans sa vie, Strasbourg, Éditions des Dernières Nouvelles d'Alsace
- Collectif d'auteurs, Au cœur de la cité souterraine de Naours, collection "La France racontée aux enfants", Rouen, Éditions La Petite Boîte, 2019, 24 pages, ISBN 978-2-36152-220-9
- Brochure Se souvenir, 14-18, éditée par le Conseil départemental de la Somme
- Dépliant de visite et panneaux d'information sur la cité et les moulins
- Guide vert, Picardie, baie de Somme, Paris, MICHELIN Éditions, 2022, 407 pages, ISBN 978-2-6-725767-2
Voir aussi (sur Geneawiki)
Liens utiles (externes)
Notes et références
- ↑ Guide vert, Picardie, baie de Somme, Paris, MICHELIN Éditions, 2022, 407 pages, ISBN 978-2-6-725767-2
- ↑ Le marnage consistait à amender la terre avec un mélange d'argile et de craie.
- ↑ Mot à l'origine de noms de familles tels que Marcelcave.
- ↑ Brochure Se souvenir, 14-18, éditée par le Conseil départemental de la Somme
- ↑ Né le 17 août en Picardie, il a fait ses études aux petit et grand séminaire d'Amiens.
- ↑ Brochure Se souvenir, 14-18, éditée par le Conseil départemental de la Somme
- ↑ Collectif d'auteurs, revue 100 merveilles de France à voir au moins une fois dans sa vie, Strasbourg, Éditions des Dernières Nouvelles d'Alsace
- ↑ Collectif d'auteurs, Au cœur de la cité souterraine de Naours, collection "La France racontée aux enfants", Rouen, Éditions La Petite Boîte, 2019, 24 pages, ISBN 978-2-36152-220-9
- ↑ Base Mérimée, moulin du Belcan
- ↑ Base Mérimée, moulin Westmolen
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