Abbaye de Sénanque
Avec l'abbaye du Thoronet et celle de Silvacane, l'abbaye de Sénanque fait partie de l'ensemble couramment appelé Les trois sœurs provençales.
Elles ont en effet plusieurs points communs :
- Elles sont toutes les trois liées à l'ordre cistercien, né en 1098 avec Robert de Molesme qui fonde l'abbaye de Cîteaux.
- Toutes trois, dans des proportions moyennes, adoptent le style roman provençal de l'époque avec incorporation de quelques éléments gothiques, et, surtout, « respectent l'idéal cistercien de dépouillement »[1], magnifié par leur environnement végétal, notamment ici au milieu des lavandes.
- Enfin, elles ont très bien traversé les épreuves du temps et, valorisées par leurs restaurations respectives, elles sont considérées comme quelques unes des plus belles abbayes de France.
Filiation et fondation
- Parmi les abbayes cisterciennes, une organisation règle les rapports des édifices entre eux.
- Lorsqu'une abbaye est suffisamment développée, une équipe de douze moines et d'un abbé s'en va fonder « un nouvel établissement affilié »[1]. Même indépendants juridiquement, les nouveaux édifices garderont des rapports privilégiés avec leur "mère", sorte de tutrice et conseillère. Ce modèle d'organisation, qui génère une solide cohésion entre tous les monastères, va par la suite inspirer d'autres ordres religieux.
- Le Thoronet et Sénanque sont toutes deux filles de l'abbaye de Mazan (fondée en 1119 dans le Vivarais), donc arrières-petites-filles de Clairvaux.
- Alors que Le Thoronet est fondé en 1136, la fondation de sa petite sœur Sénanque commence en 1148, sous l'impulsion de l'évêque Alfant, de Cavaillon, et grâce au soutien des seigneurs suzerains de Gordes.
- Quant à l'abbaye de Silvacane, c'est une cousine, puisqu'elle est fille de l'abbaye de Morimond, fondée en 1115.
Implantation
Située sur le ban communal de Gordes, l'abbaye s'est logée dans un vallon encaissé, puisque la Régle cistercienne prônait le choix d'un lieu solitaire et boisé, propice à la sérénité et au recueillement, mais aussi source de travail manuel pour les moines. Ce sont les seigneurs Guirand et Bertrand d'Agoult-Simiane qui ont donné ce lopin de terres.
Au fond du vallon coule la Sénancole, qui aurait donné son nom à l'abbaye. Mais certains historiens pensent que l'origine du nom serait celtique, issue de « Sagn-Anc »[2], qui peut se traduire par gorges avec marécages.
Les moines ont alors commencé par défricher, maîtriser le cours du ruisseau et construire un réservoir afin de faciliter le drainage de cette zone marécageuse.
Compte-tenu de l'étroitesse du site, l'église abbatiale n'est pas orientée et son chevet est tourné vers le Nord.
Actuellement, des champs de lavande cultivés par les moines servent d'écrin à l'ensemble abbatial.
Historique
La construction de l'ensemble des bâtiments s'étale sur un siècle environ : chœur, abside, transept et coupole, « vers 1150 »[3] ; nef et bas-côtés, trente ans plus tard. En 1178 : bénédiction de l'abbaye par l'évêque de Cavaillon, Monseigneur Alfant.
Durant le XIIIe siècle et la première moitié du XIVe, c'est l'apogée du monastère qui a accumulé des richesses peu compatibles avec les vœux de pauvreté (il disposait de plusieurs maisons, quatre hospices, quatre moulins et sept granges). La deuxième moitié de ce siècle est moins florissante, mais le XVe siècle apportera un renouveau.
En 1544, l'abbaye est saccagée et incendiée par « la secte hérétique des Vaudois »[4], qui n'hésite d'ailleurs pas à massacrer quelques religieux. Mais le monastère renaît de ses cendres à la fin du XVIe siècle grâce à l'abbé de Béthune.
En 1791, l'ensemble monastique est vendu comme bien national. L'acquéreur le préserve de toute destruction. Il est racheté en 1854 par un ecclésiastique Dom BARNOUIN ; une communauté de Cisterciens de l'Immaculée Conception s'y installe.
Avec les lois de 1903 sur les congrégations religieuses, les moines sont expulsés. En 1926 ils reprennent possession du monastère.
En 1969, Les moines quittent Sénanque pour rejoindre la maison mère situé sur l'Ile Saint-Honorat. Une association est créée et Sénanque devient alors un « Centre culturel de Rencontre »[5]
En 1988, les moines de l'abbaye de Lérins envoient un petite communauté à Sénanque et la vie monastique reprend, dans le même esprit qu'autrefois.
Architecture
L'édifice est classé aux M.H depuis 1931 [6]. Suivant le schéma classique des sites cisterciens, il est composé de plusieurs éléments :
- L'église abbatiale fait preuve d'une grande sobriété. Sa façade sud est dépourvue de grand portail central et est éclairée par deux fenêtres en plein cintre et une rosace lobée. L'abside principale, au nord, est de forme semi-circulaire et éclairée par trois baies représentant la Trinité. Quant au transept, il est prolongé à l'ouest par les différentes salles et le dortoir à l'étage. L'ensemble est recouvert de lauzes.
- La nef, composée de cinq travées et voûtée en berceau brisé, « mesure 38,52 mètres de long sur 8,30 mètres de large »[7]. Les collatéraux comportent également cinq travées. Les bras du transept, moins hauts, abritent chacun deux absidioles. Celles-ci présentent deux particularités : semi-circulaires à l'intérieur de l'édifice, elles « s'inscrivent, à l'extérieur, dans un mur droit »[8] ; par ailleurs, chacune d'entre elles abrite encore son autel originel (XIIe siècle).
- Le chœur, endroit le plus lumineux de l'édifice grâce à ses trois baies, est voûté en berceau brisé et se termine par une abside en cul-de-four.
- La coupole axiale, sur la croisée du transept, présente huit pans irréguliers. Le passage de la forme carrée à la forme octogonale s'effectue grâce à des trompes. Leurs arceaux décorés de lobes sont une reprise de la coupole de Mazan et font référence aux « quatre séraphins de la première vision de l'Apocalypse »[9].
- Des vitraux contemporains ont été posés en 1994. Non figuratifs et tout en nuances fondues, ils sont l'œuvre de Louis-René PETIT.
- La salle capitulaire est voûtée en croisées d'ogives. Celles-ci, comme à Silvacane, reposent contre les murs sur des culots, et au centre sur deux piliers imposants. Sur trois de ses côtés, la salle est parcourue par un gradin en pierre composé de trois niveaux.
- Le dortoir, d'une longueur de 30 mètres, est voûté en berceau brisé avec doubleaux. « La salle est munie d'une cheminée »[10], ce qui était rarissime dans ce type de monastère. Elle comporte les deux escaliers d'accès traditionnels, dont un au milieu de la pièce. L'éclairage naturel provient d'une rosace en pignon et de treize fenêtres aux profondes embrasures, car les murs font ici « plus de 1,30 mètre de large »[11].
- Les autres salles. La salle des moines, le chauffoir et le scriptorium se trouvent regroupés dans une seule et même pièce. Sa cheminée est impressionnante car son haut manteau bombé permettait d'y insérer, à la verticale, des troncs d'arbres entiers.
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Église abbatiale vue depuis le cloître -
Chœur de l'église -
Bras Est du transept -
Trompes, coupole octogonale et puits de lumière -
Salle capitulaire
Photo M. Th. Moussier -
Dortoir et pignon Est -
Dortoir : rosace sur pignon Ouest
- Le cloître
Construit à la fin du XIIème siècle, le cloître a conservé son intégrité et sa pureté.
Les quatre galeries sont voûtées en plein-cintre avec doubleaux. Chaque galerie s'ouvre sur le préau par quatre grands arcs surbaissés, composés chacun de trois arcades rythmées par des colonnes jumelles. Bien que plus élaborée que celles de l'abbatiale, leur décoration, variant d'une arcade à l'autre, reste relativement sobre.
Quant au lavabo d'origine du préau, il n'existe plus.
Le cloître, de nos jours, continue à être un lieu de prière et de lecture.
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Jardin du cloître
Photo M. Th. Moussier -
Galeries du cloître
Photo M. Th. Moussier -
Cloître, chapiteaux sculptés -
Cloître, chapiteaux sculptés
Quelques abbés
Prénom(s) NOM | Période | Observations |
Pierre de MAZAN ou Pierre I | 1150 - 1184 | Décède en 1184 |
- | - | Période de déclin |
Bernard CLÉMENT ou Bernard I | 1290 - 1327 | Il ramène ordre, prospérité et notoriété |
Pierre CLÉMENT ou Pierre VI | 1327 - 1349 | Frère du précédent |
- | - | Période de troubles |
Jean CASALETTI | 1475 - 1809 | Ramène une nouvelle prospérité - Décède en 1509 |
- | - | Viennent ensuite des abbés commendataires[12] |
François d'ESTAING | 1509 - 1529 | Né vers 1460 - Recteur du Comtat venaissin - Éveque de Rodez - Décède en 1529 |
- | - | |
Pierre de FORLI | 1533 - 1541 | Il devient ensuite évêque d'Apt - Décède en 1559 |
- | - | Période des insurrections vaudoises |
Armand de BÉTHUNE | 1683 - 1712 | Il entreprend la reconstruction de la partie sud de l'ensemble monastique |
- | avant la Révolution | L'abbaye est administrée par le prieur du Thoronet |
Léon BARNOUIN | 1854 - | Réintroduit la vie monastique et construit de nouveaux bâtiments |
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Cartes postales anciennes
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Façade nord -
Nouvelle chapelle, non accessible au public
Vie actuelle de l'abbaye
Depuis 1988, des frères continuent à s'engager dans la vie monastique, toujours en accord avec la règle bénédictine. Mais c'est désormais un prieuré et il n'y a plus séparation entre moines de chœur et frères convers. Ils vivent dans les constructions les plus récentes du monastère, à l'abri des visites limitées à la partie médiévale
Leur vie est toujours rythmée, comme autrefois, par la prière liturgique (sept offices quotidiens) et par la prière individuelle dont la "Lectio divina"[13].
Rythmée aussi par le travail manuel ou intellectuel. Ici ce sont d'une part le jardinage au potager pour la communauté, la culture du blé et de la lavande (avec production d'extrait et de miel), ainsi que l'entretien de la forêt, d'autre part l'accueil des personnes tentées par une retraite spirituelle et l'accueil des touristes (65 000 par an). Les fonds issus du tourisme sont réinvestis dans l'entretien et la restauration du domaine monastique.
Bibliographie
- Odile CANNEVA, Comprendre les abbayes et les ordres monastiques, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2019, 32 pages, ISBN 978-2-7373-7755-6
- Frédéric BARBUT, La Route des Abbayes en Provence, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2019, 144 pages, ISBN 978-2-7373-8066-2
- Serge PANAROTTO, Les 3 sœurs provençales, Saint-Rémy-de-Provence, ÉDITIONS ÉDISUD, 2010, 128 pages, ISBN 978-2-7449-0872-9
- Xavier BARRAL i ALTET, Trois abbayes romanes en Provence, Le Thoronet - Sénanque - Silvacane, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2006, 32 pages, ISBN 978-2-8774-7503-7
- Marilyn ZERMATTEN, Abbaye Notre-Dame de Sénanque, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2012, 64 pages, ISBN 978-2-7373-6782-4
Voir aussi (sur Geneawiki)
Liens utiles (externes)
Notes et références
- ↑ 1,0 et 1,1 Serge PANAROTTO, Les 3 sœurs provençales, Saint-Rémy-de-Provence, ÉDITIONS ÉDISUD, 2010, 128 pages, ISBN 978-2-7449-0872-9
- ↑ Marilyn ZERMATTEN, Abbaye Notre-Dame de Sénanque, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2012, 64 pages, ISBN 978-2-7373-6782-4
- ↑ Serge PANAROTTO, Les 3 sœurs provençales, Saint-Rémy-de-Provence, ÉDITIONS ÉDISUD, 2010, 128 pages, ISBN 978-2-7449-0872-9
- ↑ Xavier BARRAL i ALTET, Trois abbayes romanes en Provence, Le Thoronet - Sénanque - Silvacane, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2006, 32 pages, ISBN 978-2-8774-7503-7
- ↑ Marilyn ZERMATTEN, Abbaye Notre-Dame de Sénanque, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2012, 64 pages, ISBN 978-2-7373-6782-4
- ↑ Fiche Mérimée
- ↑ Xavier BARRAL i ALTET, Trois abbayes romanes en Provence, Le Thoronet - Sénanque - Silvacane, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2006, 32 pages, ISBN 978-2-8774-7503-7
- ↑ Serge PANAROTTO, Les 3 sœurs provençales, Saint-Rémy-de-Provence, ÉDITIONS ÉDISUD, 2010, 128 pages, ISBN 978-2-7449-0872-9
- ↑ Marilyn ZERMATTEN, Abbaye Notre-Dame de Sénanque, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2012, 64 pages, ISBN 978-2-7373-6782-4
- ↑ Xavier BARRAL i ALTET, Trois abbayes romanes en Provence, Le Thoronet - Sénanque - Silvacane, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2006, 32 pages, ISBN 978-2-8774-7503-7
- ↑ Marilyn ZERMATTEN, Abbaye Notre-Dame de Sénanque, Rennes, Éditions OUEST-FRANCE, 2012, 64 pages, ISBN 978-2-7373-6782-4
- ↑ Abbés qui ne sont pas élus par les moines de l'abbaye, mais par des religieux ou hommes politiques en place
- ↑ Forme de lecture priée de la Parole de Dieu