02767 Vauxrezis Le dolmen

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Le dolmen

Les dolmens qui nous restent n'ayant échappé que par l'effet du hasard à la destruction générale, il ne reste que celui de Vauxrezis , le seul monument druidique de ce genre à peu près intact dans le Soissonuais.

Il est situé à six kilomètres de Soissons et à quelques mètres seulement de la chaussée romaine qui, traversant les Gaules, passait à Augusta Suessionum et aboutissait à Boulogne-sur-Mer. On le connaît, dans le pays sous le nom de Pierre-Laye .
Ce dolmen se compose d'une grande pierre plate et brute, posée sur sept autres pierres de champ : deux dans le fond, du côté du levant, elles sont adossées au sol; deux au nord : deux au midi sur la ligne de l'ouverture ; une seule au couchant. Le dessous de la table forme une espèce de chambre fermée de trois côtés, sa superficie est de six mètres : trois de long sur deux de large; sa forme actuelle, par suite des mutilations qu'elle a subies, est celle d'un quadrilatère irrégulier, qui présente à l'ouest trois mètres trente centimètres : quatre à l'est, deux au septentrion et soixante-dix centimètres seulement au sud. Ainsi la pierre supérieure ou table, ne couvre plus entièrement l'espace compris entre les pierres placées de champ.

Il est évident qu'on a cherché à détruire le monument, et c'est à ces essais de destruction qu'on doit attribuer les traces de coins dont le dolmen porte l'empreinte en plusieurs endroits. Un énorme fragment se trouve en travers de l'ouverture, un antre moins gros est tombé à côté, d'antres plus petits gisent encore non loin des premiers. Tous ces débris portent aussi les traces de coins marqués dans leur partie intérieure et à la même distance que celles de la table. Ces fragments sont de la dimension convenable pour remplir les vides qui ont été faits, et même il serait aisé d'assigner à chacun sa place et de les réintégrer. Ainsi replacés, la table retrouverait sa première forme, et présenterait l'aspect d'un parallélogramme régulier ; mais il a paru plus convenable de laisser le monument dans l'état où il se trouve maintenant pour ne pas lui enlever le caractère que le temps et les circonstances lui ont fait, sans rien ajouter à ce qu'il a conservé de son style primitif d'un effet si solennel, quoique si austère et si simple.

La masse totale de cette table, calculée d'après le poids connu du calcaire pilé marin dont elle est composée, a dû être d'environ trente mille livres (15 000 kilogrammes), lorsqu'elle fut mise en place. Elle est évidemment extraite d'un banc de pierre qui règne tout près de là sur le revers du plateau, et qui offre précisément l'épaisseur de la table du dolmen. On a choisi pour la placer un endroit où le terrain est légèrement incliné, en sorte que la faisant glisser par la partie supérieure on a pu, sans être obligé de la soulever, la faire arriver sur les supports disposés pour la recevoir; peut-être même, est-ce à cette opération qu'est due la légère déviation d'une des pierres qui la soutiennent et qui aurait cédé à la pression de la table dans son mouvement en avant ?

Il est facile de reconnaître qu'elle n'a pas été taillée. Plusieurs trous la traversent. Sont-ils, comme les autres cavités ou irrégularités de la pierre, des excavations produites par l'influence de l'air et de l'eau qui agissent sur elle depuis tant de siècles ? Ont-ils été perforés par la main des hommes ? Ce dernier sentiment ne paraît pas douteux. L'action du temps n'est pas suffisante pour autoriser à admettre qu'une nature de pierre si compacte et si dure ait pu être naturellement transpercée dans toute son épaisseur, de plus la disposition de ces trous ne paraît pas due au hasard et indique l'intention de l'homme.
Les quatre trous seuls remarquables sont placés assez exactement sur la ligne qui partagerait le parallélogramme dans sa longueur : deux au nord, deux au sud, à côté l'un de l'autre et à peu près, à la distance de la taille d'un homme ; de sorte que l'on est porté à penser qu'ils étaient destinés à contenir les victimes attachées d'une part par la tête ou les bras, de l'autre par les pieds. Cette conjecture est fortifiée par la circonstance remarquable que de ces trous ainsi groupés deux par deux, de chaque part un des deux seulement traverse la table d'outre en outre, et l'autre communique avec le premier dans l'intérieur de la pierre, en sorte que le second semblerait n'avoir eu pour objet que de retenir un lien quelconque.
Nous ignorons si cette circonstance s'est rencontrée ailleurs, mais elle pourrait servir à compléter l'explication que l'on a donnée de l'usage des trous habituellement remarqués sur les dolmens. L'usage des trous été généralement considérés comme destinés à faire écouler et recueillir sous la pierre le sang des victimes, et les rigoles dirigées vers ces trous, que l'on remarque sur quelques dolmens, justifient suffisamment cette opinion.

C'est même par ce moyen que le sang du sacrifice était, selon les antiques traditions, reçu sous la pierre par ceux qui attachaient à cet acte une idée d'expiation. Mais indépendamment de cet usage des trous dont sont traversés habituellement les autels druidiques, ne pouvons-nous pas aussi conclure de ce que nous observons à Vauxrezis qu'ils avaient un double objet, et avaient été destinés aussi à donner le moyen d'enchaîner les victimes, quelque fussent d'ailleurs ces victimes ; car si nous avons dû faire remarquer que la distance des trous se prêtait à l'immolation des hommes, nous ne prétendons pas en conclure que ces autels étaient, nécessairement ou uniquement destinés à des sacrifices aussi barbares.

L'emplacement de cet autel avait été parfaitement choisi. Un peu à l'abri du nord, il domine néanmoins les vallées et les collines d'alentour, il est placé au centre d'un terrain en pente douce qui l'entoure de trois côtés sur un rayon de trois à quatre cents mètres comme une sorte d'amphithéâtre duquel un peuple immense pouvait prendre part aux solennités.

Haut lieu, duquel on découvre un magnifique horizon de montagnes, haut lieu le plus élevé de l'arrondissement, d'où l’œil pouvait, pendant les sacrifices, veiller sur les habitations les plus éloignées. Ou, si l'on aime mieux supposer, que comme il arrivait d'ordinaire, cet autel était entouré de chênes touffus qui projetaient sur les victimes la religieuse horreur de leur ombre, il est permis de croire qu'autrefois les environs du dolmen de Vauxrezis étaient couverts de bois, car nos historiens nous apprennent que les forêts de Compiègne et de Villers-Cotterêts s'avançaient presque jusqu'à Soissons, sur ces plateaux et dans ces vallées que la culture rend aujourd'hui si fécondes et si riches.


Cette table de pierre, qu'évidemment le hasard n'avait pu dresser sur des supports régulièrement disposés, n'avait pourtant, depuis longtemps, d'autre apparence que celle d'un amas de pierres brutes superposées, surtout avant d'avoir été dégagée des terres et autres matières qui l'encombraient. Érigée dans un lieu assez écarté, elle n'avait point frappé le regard des spectateurs intelligents, elle restait inconnue ou incomprise. Le propriétaire lui-même, M. de Vuillefroy, conseiller à la cour royale de Paris, avait complètement ignoré qu'il existât sur une des pièces de terre qu'il possède dans le Soissonnais, rien qui fût de nature à mériter l'attention, et son fermier qui avait fini par ne voir dans cette masse qu'un obstacle à la culture, se proposait de la faire disparaître en la brisant.

Mais en 1840, le docteur Godelle, archéologue zélé, à qui ses courses comme médecin donnaient souvent l'occasion de passer près de là, et qui d'ailleurs se plaisait à parcourir cette chaussée romaine dont le solide établissement reportait son imagination sur la puissance des constructions du grand peuple, vint à remarquer cette masse de pierres : il comprit qu'elle était digne d'une observation attentive, il en devina l'objet et chercha des renseignements.

II apprit qu'elle avait un nom particulier, qu'elle s'appelait la Pierre-Laye, que même elle donnait son nom à la pièce de terre sur laquelle elle se trouve, et que le point culminant du terrain qui l'entoure portait le nom de Mont de la Pierre. Dès-lors, il ne douta plus de l'intérêt de sa découverte. Il publia une notice sur cette Pierre-Laye qu'il n'hésitait plus à qualifier de dolmen druidique, et il appela sur sa conservation la sollicitude de l'autorité. Le dolmen fut, par ordre du préfet de l'Aisne, figuré sur le cadastre, et de plus on trouva dans le fait de la possession de ce monument par M. de Vuillefroy une garantie suffisante, qu'il serait désormais préservé d'une destruction à laquelle il avait été si longtemps exposé.

Le comité archéologique s'étant formé quelque temps après, sentit que le soin d'un examen approfondi de cette découverte lui était naturellement légué. Une commission prise dans sou sein, de concert avec M. de Vuillefroy, devenu l'un de ses membres, fut chargée de le visiter et de recueillir tout ce qui pouvait servir à compléter l'intelligence du monument. Le premier soin de la commission fut de faire fouiller le dolmen. Non seulement nous savions que souvent des ossements humains avaient été déposés sous les autels druidiques, mais de plus le bruit avait couru que des indiscrets croyant rencontrer quelque chose de précieux sous cette pierre, devenue l'objet d'une attention curieuse, n'y avaient trouvé que des ossements et s'étaient empressés de recouvrir la fouille pour effacer les traces de leur tentative illicite.

Il fallut d'abord dégager le dolmen d'une masse de terres, pierrailles et débris qui l'obstruaient, amoncelés là par le laboureur qui en débarrassait ainsi son champ, puis on fouilla sous le dolmen, et à peine était-on parvenu à un mètre au-dessous du niveau du sol que la pioche rencontra un crâne humain. On enleva alors la terre avec précaution et l'on mit à nu un lit épais et profond d'ossements appartenant à dix-huit ou vingt squelettes humains assez bien conservés. Ils reposaient sur un dallage grossier en pierres dures et paraissaient en désordre, principalement ceux qui étaient au-dessus ; mais ce désordre nous sembla suffisamment expliqué par ce que nous venons de dire d'une exploration antérieure; on ne saurait admettre que vingt corps aient pu être contenus dans un espace si restreint de deux mètres sur trois, sans y avoir été rangés avec soin et symétrie. D'ailleurs les Gaulois avaient coutume d'inhumer leurs morts avec respect et quelquefois ils leur repliaient les jambes sur le corps.

Il serait difficile d'assigner à qui ont appartenu ces corps. Étaient-ce les restes de guerriers ? Les dents étaient saines et annonçaient des personnes dans la force de l'âge : mais les ossements des bras et des jambes, non plus que les crânes, ne paraissaient pas avoir été fracturés, ce qui se serait sans doute rencontré sur des corps de guerriers, victimes d'un combat. Serait-ce une immolation de prisonniers de guerre ? De victimes d'un grand sacrifice offert dans une circonstance décisive pour le sort de la nation ? Les corps de coupables mis à mort pour leurs crimes n'auraient pas été ainsi recueillis. Était-ce le lieu de repos des chefs et des pontifes ? Les ossements, dit Batissier, qui ont été decouverts près de ces constructions barbares donneraient à croire que les prêtres se faisaient inhumer dans le voisinage comme dans des lieux sacrés. Sur toutes ces questions trop d'obscurités enveloppent encore les usages de ces temps reculés pour que nous ne nous bornions pas à énoncer de simples conjectures .

Nous n'avons trouvé, du reste, au milieu de ces débris humains, ni armes, ni médailles, ni autres objets antiques. À la vérité, des médailles et des fragments de poteries romaines ont été souvent recueillis dans les environs du dolmen, et l'on avait eu d'abord la pensée que la vénération pour l'autel des druides ayant survécu longtemps encore après l'abandon de leur culte, ces vestiges pouvaient indiquer que des rassemblements s'étaient formés autour de la Pierre sacrée, à l'époque où les Romains occupaient nos contrées. Mais tout le pays d'alentour recèle des traces du séjour des armées romaines. Non loin de là, est un lieu encore connu sous le nom de Champ de la Bataille. Ainsi ces débris antiques nous semblent sans relation avec le monument.


  • Source : Bulletin de la sociéte archéologique historique et scientifique de Soissons 1855 (tome 5)