« Histoire des Corsaires de Dunkerque » : différence entre les versions

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* [http://www.jjsalein.com/ Corsaires et Base de données]
* [http://www.jjsalein.com/ Corsaires et Base de données]
* [http://www.geocities.com/trebutor/Livre/100.html Le Diable Volant]; tout sur la flibuste


* [http://www.geocities.com/tokyo/garden/5213/index.htm Isle of Tortuga]; (Ile de la Tortue Haïti) ce site en anglais comporte une page intitulée "Privateers and pirates" (Corsaires et Pirates), qui constitue une liste impressionnante de patronymes ; on y trouvera de nombreux noms de corsaires dunkerquois moins connus, de milieu social plus modeste, ou même de milieu social élevé, comme la dynastie des Collaert/Collaart, qui compte des amiraux et que l'on s'étonne de ne pas mieux connaître par des sources françaises ; la gloire est chose capricieuse ; d'une façon générale, le fait qu'il s'agisse d'une source en anglais le rend complémentaire des sources françaises ; les "corsaires" qui y cités sont connus des auteurs de par leurs victimes, qui n'ont pas toujours eu l'occasion de leur demander leur lettre de marque.
* [http://www.geocities.com/tokyo/garden/5213/index.htm Isle of Tortuga]; (Ile de la Tortue Haïti) ce site en anglais comporte une page intitulée "Privateers and pirates" (Corsaires et Pirates), qui constitue une liste impressionnante de patronymes ; on y trouvera de nombreux noms de corsaires dunkerquois moins connus, de milieu social plus modeste, ou même de milieu social élevé, comme la dynastie des Collaert/Collaart, qui compte des amiraux et que l'on s'étonne de ne pas mieux connaître par des sources françaises ; la gloire est chose capricieuse ; d'une façon générale, le fait qu'il s'agisse d'une source en anglais le rend complémentaire des sources françaises ; les "corsaires" qui y cités sont connus des auteurs de par leurs victimes, qui n'ont pas toujours eu l'occasion de leur demander leur lettre de marque.

Version du 1 novembre 2007 à 18:20

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Coffre marine XVII°




Avant et autour des corsaires de Dunkerque

Entre histoire et légende, les naufrageurs

La tour du Leughenaer


Située au plus étroit de la mer du Nord, point de passage obligé pour les riches navires anglais ou hollandais, Dunkerque était destinée à la course par sa géographie. Il s'agit d'un piège naturel : on ne peut y entrer que par des chemins très précis (aujourd'hui indiqués par les balises), autrement on se heurte à de redoutables bancs de sable fossiles, durcis par le temps, tout à fait capables d'éventrer un navire.

L'histoire ou la légende veut que Dunkerque ait aussi été une cité de naufrageurs. L'on raconte que la tour du Leughenaer (en français : tour du menteur) aurait porté les feux qui attiraient les navires à leur perte. Les arguments ne manquent pas pour accorder un certain crédit à ce récit. Quand on le peut, il est moins risqué (et pas plus immoral, quoique pas moins) d'attirer un bateau dans un piège que de le prendre à l'abordage ; or, de par sa configuration, Dunkerque EST un piège.

L'existence d'écumeurs tentant de se prévaloir de motifs patriotiques est très ancienne, comme en témoigne cet édit du 7 décembre 1400 pris par le Roi de France Charles V :

"Si aucun, de quelque estat qu'il soit, mettait sus aucun navire à ses propres dépens pour porter la guerre à nos ennemys, ce sera par le congé et consentement de nostre admiral ou de son lieutenant, lequel a, ou aura, au droict de son dict office, la cognoissance, jurisdiction, et punition de tous les faicts en la dicte mer et ses dépendances, criminellement et civilement."

Etre autorisé avant l'attaque ("congé et consentement"), rendre compte après ("cognoissance, jurisdiction et punition") : les critères qui séparent la course de la piraterie sont déjà là, au moins dans l'esprit du Roi, car les faire respecter sur le terrain est autrement plus complexe que de rédiger un édit.

Proches et lointains, les Gueux de Mer

Protestants et nationalistes

Il importe ici de rappeler qu'en mer du Nord, le plus grand nid d'écumeurs est la région qui devriendra les Provinces Unies, puis les Pays-Bas au sens d'aujourd'hui, c'est à dire la partie nord et protestante des Pays-Bas espagnols d'alors.

Leur action se situe au départ dans le cadre de la Guerre de Quatre-Vingt Ans (1568-1648) par laquelle les Provinces Unies prostestantes finissent par arracher leur indépendance à l'Espagne. Cette guerre est appelée aussi Révolte des Gueux. Ce terme de Gueux ne doit pas tromper. C'est une référence ironique à un de leurs adversaires qui les avait traités de gueux. En réalité, il y avait aussi des riches et des nobles parmi les protestants. Le plus important est Guillaume 1er d'Orange-Nassau, considéré comme le père fondateur des Provinces Unies. Même s'il ne faut pas le confondre avec son descendant et homonyme Guillaume III qui deviendra Roi d'Angleterre, ce n'est à coup sur pas un mendiant.

Piraterie et sociétés par actions

La guerre des Gueux comporte un important volet maritime mené par les Gueux de la Mer, écumeurs protestants dont l'action a des objectifs en partie politiques, contrairement au cas général des corsaires. Le libéralisme économique figure aussi au nombre de ces objectifs, et le contrôle étatique sur l'activité corsaire est faible dès le départ. On voit même des entreprises comme la Compagnie (hollandaise) des Indes Occidentales délivrer leurs propres lettres de marque. Cette compagnie (une des premières sociétés capitalistes par actions)a ses propres vaisseaux, son propre territoire (qu'elle se taille en Amérique grâce à l'action de ses capitaines), bien plus vaste que celui des Provinces Unies, ses propres objectifs, parmi lesquels la course et le commerce des esclaves ne sont nullement dissimulés. Alors, il est ridicule d'imaginer qu'elle soumette ses prises à l'approbation d'un tribunal nommé par le pouvoir politique.

Un empire dans les îles lointaines

Les Gueux de Mer et leur descendants savent aussi aller chasser les galions espagnols dans les Antilles. Leur liberté d'action augmente quand la puissance maritime espagnole est détruite par les Hollandais lors de la désastreuse Bataille des Dunes, ou des Downsle 31 octobre 1639. Cette destruction incite Anglais et Hollandais à tenter de s'emparer des possessions coloniales ibériques en Amérique, ce qui passe par une recrudescence de la piraterie aux Antilles ; la distinction pirate/corsaire devient totalement fictive dans ces eaux très disputées, où la fin justifie les moyens, et où d'ailleurs la faiblesse de la présence étatique (à moins que ce ne soit la puissance de la présence de la Compagnie des Indes Occidentales) empêche de faire fonctionner quelque tribunal de prise que ce soit ; c'est l'époque des flibustiers, écumeurs qui possèdent une lettre de marque mais dont les prises ne sont pas pour autant soumises à des contrôles réels.

Avec les écumeurs hollandais, nous sommes au coeur de l'immense système de course, piraterie ou flibuste tels qu'il sévira aux XVII èmes et XVIII ème siècles. Quelques anecdotes biogragriques en montreront la dimension :

  • de Vernboer (15.. - 1620) commence sous lettre de marque hollandaise, mais finit pirate à Alger tout en conservant un certain patriotisme, du moins c'est ce qu'il dit quand il cherche à renter en grâce auprès de son pays ; il fait hisser le pavillon hollandais quand le navire attaqué est espagnol, et évite de trop maltraiter ses prisonniers lorsque ceux-ci sont hollandais ; son compatriote Jan Janszohn, de Haarlem, commence aussi sous lettre de marque hollandaise, mais opère ensuite à partir d'Alger (Algérie) et de Salé (Maroc) et se convertit à l'Islam, ce qui lui permet de prendre une deuxième femme
  • Piet Heyn( 1577 - 1629) est en 1623 vice-amiral au service de la compagnie des Indes Occidentales ; il ne se contente pas d'attaquer des galions, mais prend aussi des villes, comme Bahia (Brésil) ; puis il passe sous lettre de marque de Guillaume d'Orange en 1629 et prend part au blocus de Dunkerque ; cet exemple nous montre qu'il n'y a pas un monde d'écart entre les écumeurs des Antilles et ceux de la mer du Nord

Ennemis mais cousins

Les capres dunkerquois gênent considérablement les activités hollandaises et, en sens inverse, ils en ont été les premières victimes, puisque les Gueux de Mer ont détruit la pêche qui les faisait vivre. Cependant, les liens demeurent.

En 1587, les autorités hollandaises décident que les câpres dunkerquois seront dorénavant traités comme des pirates. Leurs capitaines doivent prêter serment de passer au fil de l'épée ou de jeter à la mer tous leurs prisonniers. Mais cet ordre demeure très impopulaire parmi les équipages hollandais, car bon nombre de leurs frères ou parents servent également sur les navires dunkerquois. Aussi se contentent-il souvent de déposer les marins qu'ils capturent sur les bancs de sable le long de la côte flamande, là où l'eau peu profonde leur laisse une chance de patauger jusqu'au littoral.

Le sort des prisonniers est très variable. On a des exemples d'actes de barbarie, et Jean Bart pourrait parler savamment des pontons anglais sur lesquels il a pourri un temps. Mais d'une façon générale, entre honnêtes forbans, l'intérêt bien compris est de se ménager ; obtenir du navire attaqué une reddition sans combat, c'est le premier objectif du corsaire, qui est d'abord un commerçant et qui entend revenir au port vivant et avec quelque chose à vendre ; pour y parvenir, on peut jouer la terreur, comme les pirates des Caraïbes, mais les corsaires sont gens difficiles à terrifier ; on peut aussi rendre la capture aussi peu redoutable que possible, et même potentiellement profitable, car les prisonniers peuvent espérer reprendre le navire ; ils ne sont en effet enfermés nulle part(dans quelle prison les mettrait-on ? chaque centimètre est occupé sur un navire corsaire) et sont même souvent embauchés à la manoeuvre par leur vainqueur, qui doit conduire deux bateaux avec l'équipage d'un seul.

Les ponts sont si peu coupés entre corsaires catholiques flamands de Dunkerque et corsaires protestants "hollandais" que lorsque Dunkerque cesse d'être espagnole, les capres choisissent assez spontanément de naviguer pour "la Hollande", et ils ne cessent de le faire qu'avec la déclaration de guerre officielle de 1672.

Les corsaires de Dunkerque

Corsaires sous lettre de marque espagnole

Le corsaire dunkerquois gagne ses lettres de noblesse à la fin du XVI ème siècle, sous la domination espagnole.

Lors de la guerre de Quatre-Vingt Ans, Dunkerque tombe aux mains des rebelles hollandais en 1577.

Elle est reprise par les Espagnols en 1583 et se trouve alors sous blocus hollandais quasi-constant, blocus que les corsaires dunkerquois, les "kapers", ou "capres", s'entendent à forcer grâce à leur navire léger et puissant, la frégate. Leurs poursuivants s'échouent sur les bances de sable.

Pour contrer les Gueux de la Mer, l'Espagne distribue des lettres de marques en grand nombre aux marins des Pays-Bas catholiques, dont Dunkerque fait partie ; l'activité corsaire explose, d'autant plus que l'embarquement sur les navires corsaires sauve du chômage les marins qui ne peuvent plus pratiquer la pêche sans se faire rançonner par les Gueux de Mer.

Les corsaires coopèrent étroitement avec la marine régulière espagnole et participent à la bataille des Downs.

Les grandes familles corsaires, comme les BART, WEUSS ou BOMMELAER, ont des liens familiaux avec des amiraux espagnols ou travaillant pour l'Espagne.

De 1633 à 1637, le corsaire Jacob COLLAERT est vice-amiral de la flotte corsaire de Dunkerque. Il passe amiral en 1638 et soumet aux autorités espagnoles un plan de restructuration du port de Dunkerque qui ne sera pas réalisé faute de fonds.

Le 21 octobre 1639, des corsaires dunkerquois participent, avec la marine espagnole, à la désastreuse bataille des Downs. Michiel DORNE commande le San Salvador et ROMBOUTS le Nuestra Señora de Monteagudo. DORNE libère le vaisseau de l'Amiral espagnol OQUENDO, qui était attaqué par dix navires hollandais en même temps. Seul, l'escadron de DORNE échappe à la destruction de la flotte espagnole. Le 27 September 1639, il réussit à passer le blocus et à regagner Dunkerque avec les malades et les blessés de la flotte OQUENDO.

Dunkerque cesse définitivement d'être espagnole le 25 juin 1658. C'est une grande page qui se tourne pour ses corsaires.

Corsaires navigant pour les Provinces Unies

Le 25 juin 1658, Dunkerque fut espagnole le matin, française à midi et anglaise le soir. Ce jour là, en effet, Turenne prend la ville aux Espagnols. Le soir même, Louis XIV remet la ville à Charles II d'Angleterre, provisoirement son allié. Dunkerque est définitivement rattachée au royaume de France en 1662 après que Louis XIV l'eut rachetée a l'Angleterre. Mais c'est pour les Provinces Unies que les corsaires dunkerquois naviguent quand ils le peuvent.

La question des rapports avec les Provinces Unies (que nous appellerons, pour simplifier, la "Hollande") est difficile mais importante.

Autant que de Hollande, on pourrait d'ailleurs parler de Zélande. L'on sait que Jean Bart apprit son métier de marin auprès de Ruyter. Ruyter est originaire de Flessingue, principal port de départ de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales. Toujours en Zélande, Mittelburg est un des principaux ports de départ de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. L'on sait aussi que Nicolas BAETEMAN se disait "originaire de Zélande, d'où il a toujours navigué".

Il existe probablement d'autres exemples ; la "Hollande" est proche de la Flandre par la communauté de langue et par les liens familiaux ; elle est attractive par la légèreté des contrôles qu'elle exerce sur les prises ; mais elle est aussi "de l'autre bord" à tous égard ; protestante alors que Dunkerque est catholique ; sans compter que les pêcheurs flamands de Dunkerque et de sa région furent parmi les premières victimes des Gueux de Mer.

Est-ce, de plus, trahir sa patrie que de naviguer pour "la Hollande" ? A l'époque où Dunkerque est espagnole, la réponse est oui, sans équivoque ; la "Hollande" s'est constituée d'abord contre l'Espagne, contre qui elle vient de conquérir son indépendance, cette Espagne qui est à l'origine, sinon de la course dunkerquoise, du moins de la caste des corsaires de haut niveau social, ceux qui cousinent avec les amiraux.

Ensuite, la réponse devient nuancée, car Dunkerque a changé souvent de nationalité, et les pays dont elle dépendait (tour à tour Espagne, Angleterre, France), changeaient souvent d'alliances ; en tous cas, ce qu'on peut dire au moins, c'est que naviguer pour la "Hollande" est aussi compromettant que tentant ;les corsaires dunkerquois peuvent le faire jusqu'en 1672, année où Louis XIV déclare la guerre aux Provinces Unies (car un corsaire n'est pas obligé de naviguer sous lettre de marque de son pays, il suffit de ne pas naviguer pour un pays ennemi).

Corsaires sous lettre de marque française

A partir de 1672, sauf à assumer une rebellion ouverte, il faut bien naviguer sous lettre de marque française, malgré des rapports détestables avec les tribunaux de prise français qui, contrairement à d'autres, était redoutables dans le contrôle des critères distinguant la course de la piraterie. D'une façon générale, les motivations du corsaire sont économiques, et le patriotisme ne lui est pas chose naturelle.

Ce n'est qu'après la bataille du Texel que les choses s'arrangent vraiment entre la France et les corsaires dunkerquois.

La chambre de commerce de Dunkerque possède aussi sa propre escadre, sous le commandement de Cornil SAUSS, adjoint Nicolas BAETEMAN.

Le pain de la France

(La galerie représente les acteurs de la bataille du Texel ; on espère aussi un portrait de l'amiral de Vries, il le mérite.)

La bataille du Texel est, pour Dunkerque et ses corsaires, un sujet de fierté particulièrement justifié, en plus d'être le point de départ d'un véritable attachement à la France et à son peuple qu'ils avaient sauvé de la famine.

1694. La France a faim. Le blé manque, et, celui qui existe, les spéculateurs le cachent. Le Roi achète bien du blé russe et polonais, mais les ennemis l'interceptent souvent, et les navires danois et suédois, payés pour le protéger, ne montrent aucune combativité pour le défendre, quand encore ils ne le vendent pas.

Jean Bart reçoit les ordres : aller au devant d'une flotte de plus de cent navires qui transportent ce blé, et la convoyer lui-même. Le 29 juin 1694, Jean Bart rencontre la flotte de blé qui se dirige vers l'île néerlandaise du Texel ; comme on s'en doutait, elle est prisonnière des Hollandais, bien qu'en théorie protégée par trois frégates danoises et suédoises. Huit navires hollandais lui font escorte, totalisant 388 canons. Parmi eux, le Prince de Frise, sur lequel flotte le pavillon du contre-amiral Hydde de Vries en personne. En face, les Français n'alignent que 322 canons sur sept navires, dont deux "flutes" conçues pour le transport de pondéreux et non pour le combat naval. Mais, tous les corsaires vous le diront : "Ce ne sont pas les canons qui font les prises". Les Français sont résolus à forcer le blocus. C'est pour le pain de la France qu'on va se battre.

Le corsaire dunkerquois donne ses ordres aux autres navires. Il se réserve le commandement du Maure, et l'abordage du Prince de Frise. Cela tombe bien, car le navire-amiral fait manoeuvre vers le Maure, indice que de Vries s'est réservé Jean Bart. Il ne faut donc guère s'attendre à la fréquente reddition sans combat qui suit les abordages. Quant au profit à en attendre, parlons en : il s'agit d'une mission régulière et non d'une affaire de caprerie. Jean Bart s'attend donc à être payé par le Roi quand le Roi aura de l'argent, et il en a rarement.

Jean Bart fait aborder le Prince de Frise. Pendant une demi-heure, le temps du combat, 600 à 700 hommes s'entretuent sur ce seul navire. Au total, 300 Hollandais sont tués ou blessés ; les Français ont de la chance : ils n'ont "que" 3 tués et 27 blessés sur le navire-amiral, 16 tués et environ 50 blessés au total. deux autres navires hollandais sont abordés de la même façon ; les cinq autres parviennent à prendre la fuite ; les trois frégates danoises et suédoises qui étaient censées assurer la protection du convoi de blé assistent à la bataille en spectatrices.

Entre autres blessures, l'amiral de Vries a eu un oeil crevé d'un coup de pic alors qu'il tentait de défendre le pavillon-amiral. Il est conduit à Dunkerque, où il faut l'amputer d'un bras. Le barbier l'anesthésie à la corsaire, d'une bonne rasade d'eau de vie. L'horrible opération ne sauve pas le malheureux officier, mais il estime que son honneur est sauf, car il a été vaincu par des héros, et il meurt heureux, le 1er juiller 1694, en déclarant qu'il n'a jamais été à si belle fête.

Voici le blé libéré. Plus de cent navires ! ils impressionnent, tous groupés à l'entrée du port de Dunkerque. Nul ne songe que c'est bien peu par rapport aux besoins du pays, et heureusement que nul n'y songe, car la psychologie démultiplie les effets de la bataille du Texel, et fait sortir des greniers le blé des spéculateurs, dont le prix chute. La France est sauvée de la famine.

Jean Bart envoie son fils François porter à Versailles la nouvelle de la victoire ainsi que le pavillon-amiral de l'infortuné de Vries. Le jeune homme court, glisse sur le parquet ciré, tombe (presque) dans les bras du Roi, qui s'écrie en riant : "Messieurs Bart sont meilleurs marins qu'écuyers." C'est le début d'un immense respect du Roi pour Jean Bart et, à travers lui, pour Dunkerque.

La vie corsaire

Corsaire ou pirate ?

Corsaire ou pirate ? Vu du point de vue du navire attaqué, la différence ne saute pas aux yeux. Les deux se lancent à l'abordage de son navire pour le dépouiller.

Le corsaire est titulaire d'une "lettre de marque" en provenance d'un Etat (pas forcément le sien) et il ne doit attaquer que des navires de commerce d'un pays ennemi en temps de guerre. Il doit ensuite soumettre des prises à la décision d'un "tribunal de prise" qui jugera si ces conditions ont été respectées.

Un procès par navire capturé ... on imagine les frais et les délais. Les tribunaux de prise étaient considérés comme un fléau mais, quand on était corsaire pour le compte de la France, on n'y échappait pas.

Entre pirate et corsaire, l'équilibre est toujours instable. Tout bon forban rêve de posséder une lettre de marque,( l'assurance-vie qui lui évite en principe, en cas de capture, d'être pendu haut et court pour piraterie), mais sans les contraintes des tribunaux de prise. Un tel rêve fut réalisé dans les eaux américaines, où la présence étatique était faible. Les corsaires jouissant de ce statut de controle allégé étaient des "flibustiers". En réalité, comme nous l'avons vu plus haut, la piraterie des îles s'insère dans un système dont le coeur est aux Provinces Unies, et il est fictif de faire trop de distinctions entre d'une part une Europe où la distinction pirate/corsaire serait respectée à la lettre, et d'autre par des îles exotiques où l'anarchie règnerait en maître.

En sens inverse, la puissance étatique rêve de transformer le corsaire en officier de marine, un officier de marine qu'elle n'aurait pas à payer mais qui attaquerait toute cible que l'autorité lui désignerait, qu'il y ait ou non possibilité de s'emparer d'une cargaison pour se rémunérer. C'est beaucoup demander.

Les intérêts ne convergent pas aisément, et le recours aux corsaires est toujours un pis-aller que les Etats cessent d'utiliser quand leur marine de guerre devient suffisante.

La vie à bord

Un navire corsaire est petit pour rester maniable. Dans l'idéal, c'est une frégate.

Ce qui caractérise d'abord un navire corsaire, c'est l'entassement. Le capitaine devait en effet prévoir que le combat pouvait causer beaucoup de morts et qu'ensuite, en cas de victoire, l'équipage devrait pouvoir conduire non seulement son propre navire mais aussi le navire capturé ; un nombre insuffisant de survivants sur le bateau corsaire l'obligeait à "embaucher" pour la manoeuvre des matelots du navire capturé et l'exposait au risque de "re-secousse". L'entassement des marins était une caractéristique des bateaux pirates ou corsaires, le seul critère qui ne trompait pas.

Les navires corsaires ou pirates étaient experts en tromperie. L'usage d'un faux pavillon ne les gênait en rien. Il arrivait qu'il ferme ses sabords pour cacher ses canons (en sens inverse, un navire de commerce pouvait peindre de faux sabords sur sa coque pour avoir l'air redoutable) ; ce n'est donc pas sur de tels critères qu'un capitaine devait se fonder pour savoir s'il était approché par un prédateur ; en revanche, quand l'observation à la lunette révêlait un nombre anormal d'occupants, il était temps de fuir, si l'on pouvait.

En conséquence de cet entassement, dès que le voyage est un peu long, les provisions sont insuffisantes faute de place où les mettre, et la faim est du voyage quelle que soit l'éventuelle bonne volonté du capitaine pour nourrir ses hommes correctement (cette volonté existait parfois ; Jean Bart essayait de nourrir ses marins de bon fromage de Hollande).

Ajoutez à cela les maladies, les blessures, le danger.

Les techniques de combat

Canons.jpg


Le corsaire est un professionnel du combat inégal, d'où des techniques de combat très particulières.

Les corsaires dunkerquois ont inventé la frégate, navire plus petit et plus maniable que le vaisseau de ligne. Dans le meilleur des cas, le capitaine corsaire commande une frégate d'une trentaine de canons (contre plusieurs centaines pour un vaisseau) ; plus souvent, s'il n'a pas encore fait fortune, il opère à partir de n'importe quoi qui flotte.

L'objectif est donc d'éviter que le combat soit un échange de coups de canon, non seulement à cause du déséquilibre des puissances de feu, mais aussi parce que le corsaire, dont les motivations sont économiques, espère ramener une prise en bon état.

Pour approcher de sa proie, toutes les ruses sont de mise, y compris l'usage de faux pavillons.

Obtenir une reddition sans combat est l'idéal. Elle se produit assez souvent, pour de multiples raisons. Soit parce que le navire attaqué est un navire marchand sans capacité militaire. Soit parce que l'équipage est terrorisé, soit encore par tactique, pour provoquer la "rescousse", c'est à dire la "re-secousse", le deuxième combat.

Il importe ici de connaître un point de la bizarre jusrisprudence des tribunaux de prise : lorsqu'un navire a été capturé par un corsaire et qu'il est repris par son équipage lors de la "re-secousse", le navire et la cargaison appartiennent aux marins qui l'ont repris et non aux propriétaires d'origine.

Il peut donc être approprié de se laisser capturer (à condition d'être certain de tomber dans les mains d'un corsaire). En effet, le vainqueur est bien ennuyé, car il doit conduire deux bateaux avec l'équipage d'un seul. Les prisonniers finissent donc parfois par se voir "embauchés". Il arrive même qu'ils se voient confier la tâche de conduire au port leur propre navire pour le compte de leur vainqueur, accompagnés par une poignée de gardiens. Certes, la poudre du navire prisonnier est mouillée, ses canons sont cloués, et le vainqueur navigue à proximité. Mais tout peut quand même se produire. Pour peu que les vents séparent les deux navires et que les gardiens soient en petit nombre, l'équipage d'origine peut espérer reprendre le navire.

Si le combat est décidé, le capitaine corsaire ouvre le coffre qui contient les armes (celles-ci, en temps ordinaire sont sous bonne clé : à bord, la confiance ne règne guère) ; il laisse chaque homme choisir la sienne. Les armes à feu ont peu d'amateurs, leur recul est traitre dans l'espace restreint du navire. Le choix type : une hache à la ceinture, un couteau entre les dents, les mains devant être libres pour l'abordage. Le capitaine, s'il tient à combattre avec élégance, choisira un sabre à lame courbe (une lame droite s'enfoncerait dans la cuisse lors de l'abordage).

Le corsaire attaque si possible sa proie par l'avant (on connait la chanson Au trente et un du mois d'aout :"Vire lof pour lof en arrivant, Je l'abordions par son avant" ); en tous cas il essaie d'éviter les flancs et leurs rangées de canons alignés. Arrivé à proximité, il lance les grappins pour l'abordage.

Si, par un rare malheur, la proie se défend et que le combat s'engage, c'est la boucherie. Plusieurs centaines de morts sur un seul bateau ne sont pas chose rare. D'abord pour des raisons techniques : le combat naval est sans équivalent à terre. L'espace restreint du navire ne permet pas de reculer d'un pas. L'expression "vaincre ou mourir" n'est pas une exagération. Ensuite parce que la résistance de la proie chauffe à blanc la fureur du corsaire, qui s'attendait à une reddition sans combat.

Les biens capturés

La capture est généralement suivie du "ploutrage" (de l'anglais to plunder), c'est à dire d'un pillage obéissant à des règles traditionnelles. Chacun a droit aux affaires de ses homologues. Les matelots s'emparent des habits des matelot, l'écrivain du bord saisit les plumes et le papier de son homologue ; on cite même le cas de l'aumonier de L'Adroit, capitaine Chevalier de saint Pol, qui, en 1703, s'empara des "cloches et chapelles" de son confrère du Ludlow.

La cargaison doit faire l'objet d'un jugement favorable du tribunal de prise, qui doit la déclarer "de bonne prise", c'est à dire enlevée à un pays ennemi en temps de guerre.

Après un jugement favorable, la marchandise peut être vendue aux enchères, et son prix partagé. Le Roi et l'armateur se réservent la plus grosse part, le reste est en théorie partagé entre le capitaine et ses hommes. En réalité, pour que le matelot de base obtienne quelque chose, il faudrait qu'il soit vivant à l'issue du procès, qu'il soit présent à Dunkerque, et qu'il ait connaissance du jugement en temps utile. Toutes circonstances qui sont rarement réunies.

En général, le seul paiement dont le matelot voit concrètement la couleur consiste dans le produit du ploutrage, ce qui n'empêche pas les autorités de s'indigner de son comportement de pillard. Il convient toutefois d'ajouter qu'une avance a été versée à sa femme avant son embarquement, et que cette avance, malgré son nom, est définitive. La Chambre de Commerce de Dunkerque, qui arme en course, a un temps la velléité de donner à l'avance un caractère remboursable ; elle s'indigne de ce que celle-ci reste acquise à la famille même si le matelot a fait peu d'usage, par exemple s'il a déserté ou s'il a été tué rapidement. Ces velleités restent sans succès.

Le traité d'Utrecht et la fin de la course

L'Angleterre n'a de cesse d'être débarrassée de ce pistolet pointé vers le coeur de Londres que constitue Dunkerque. Elle obtient le désarmement du port en 1713 par le traité d'Utrecht. Les tentatives pour s'affranchir de ce traité échouent : c'est la fin des corsaires de Dunkerque et le début d'une grande misère.

Devenir pêcheur n'est pas chose simple, car pirates et corsaires continuent d'exister en mer du Nord, et de rançonner les pêcheurs.

Pour survivre, les Dunkerquois entreprennent la pêche "à Hytland", c'est à dire la pêche en Islande, une autre grande épopée, mais surtout le dernier des métiers. Au début du 20 ème siècles encore, il était admis que, sur cent marin partis pour la pêche d'Islande, cinq ou six ne revenaient pas. Avant, c'était sans doute pire.

Généalogie corsaire

Sur Geneanet, la descendance des grands corsaires

Les bases suivantes donnent la descendance de quelques grands corsaires :

Epoque espagnole :

N.B :Ces lignées de grands corsaires s'entremêlent à celles de la marine de guerre régulière, parfois à très haut niveau, comme en témoignent les généalogies de ces deux ancêtres de Jean Bart (l'un et l'autre très représentés dans les généalogies modernes, mais souvent difficiles à trouver car en ligne féminine) :


Epoque française :

Un peu oubliés

Les noms suivants sont ceux de grands corsaires dont on espère qu'ils seront un jour étudiés :

  • DIRCKSEN : Adrian (vice-amiral en 1597) et Andries

Et encore :

Les simples matelots corsaires

Les simples matelots ne sont pas mentionnés comme corsaires. En effet, ils étaient recrutés sur des bases précaires, sur un bateau pour le temps d'une campagne, puis sur un autre ; ils n'étaient donc ni plus ni moins "matelots-corsaires" que "matelots-pêcheurs" ou autre.

Toutefois, pendant la grande période de la course, l'activité corsaire était dominante et le généalogiste peut supposer, même sans preuve-papier, que son ancêtre marin a servi au moins une partie du temps sur des batiments corsaires. Il est d'autant fondé à faire cette supposition que :

  • les équipages des navires corsaires étaient numériquement très importants ;
  • la grande période de la course correspond à une période de crise de la pêche, qui offrait donc peu d'emplois ; en effet, même si une vision idéalisée de la course soutient que le corsaire ne s'attaquait qu'à des navires battant pavillon ennemi, la réalité est moins morale et le rançonnage des bateaux de pêche constituait une part importante de l'activité corsaire

Liens familiaux avec d'autres ports flamands

Les bases généalogiques montrent des liens familiaux entre marins de Dunkerque et marins de ports flamands qui en étaient très proches, comme Nieuport (Belgique) ou Bergues (59). On devrait également trouver des liens avec Ostende, qui était, avec Dunkerque et Nieuport, l'un des trois port dont partaient les corsaires au service de l'Espagne.


Liens familiaux avec les Provinces Unies

Les liens familiaux avec les corsaires des Provinces Unies, patrie des Gueux de Mer, seraient à creuser. Il y en a de toute évidence, mais ils méritent plus de vérifications que d'autres. Par exemple, Nicolas Baeteman se disait "originaire de Zélande, d'où il a toujours navigué", mais sans que cette affirmation ait pu jusqu'ici se voir confirmée par une source d'état-civil. Le dossier administratif de Nicolas, exploité par Henri Malo dans ses livres et basé sur la parole de Nicolas comme source première, n'est pas à l'abri de la discussion critique ; compte-tenu du caractère compromettant des liens avec les Provinces Unies, Nicolas pouvait avoir intérêt à insinuer, sans que ce soit forcément vrai, que ces liens étaient dus à la naissance, donc involontaires.

On surveillera les généalogies qui apparaîtront peut-être dans les principaux ports de Zélande : Flessingue, Mittelburg, Veere.

Liens familiaux avec l'Angleterre

Les liens familiaux avec l'Angleterre (en particulier Douvres et Folkestone, à une poignée de kilomètres quoique de l'autre côté de la Manche) seraient à creuser  ; ils n'auraient rien de choquant, Dunkerque ayant été anglaise par moments ; en tous cas, il existe, à Folkestone, une très ancienne famille Bateman qui a été étudiée (Généanet, base de Richard Nelson).


Liens familiaux avec d'autres cités corsaires françaises

Il n'a pas été trouvé jusqu'ici de liens significatifs avec d'autres cités corsaires françaises, comme par exemple Saint Malo ; probablement ne faut-il pas y chercher d'autre explication que la discordance des dates, car la "grande époque" de l'activité corsaire n'est pas identique selon les cités.

Dunkerque commence plus tôt que les autres, au XVI ème siècle, pour le compte de l'Espagne. Elle n'est définitivement française qu'en 1662, et ce n'est qu'en 1672 que ses corsaires perdent la possibilité de ruser pour naviguer pour la Hollande au lieu de la France.

L'activité corsaire cesse également plus tôt à Dunkerque avec le traité d'Utrecht en 1713 : c'est le moment où d'autres cités corsaires sont en plein essor.

Ce n'est donc que de 1672 à 1713 (pendant 41 ans) que Dunkerque peut être qualifiée de grande cité corsaire française.

Nuvola apps bookcase.png Bibliographie

  • Fortunes de mer sur les bancs de Flandres de Jean Luc Porhel ; peut-être lu aux Archives municipales de Dunkerque ; contient le récit de tous les naufrages documentés
  • Jean Bart et la guerre de course, par Armel de Wisme
  • Visages de corsaires, par Roger Vercel
  • Jean Bart, par Jacques Duquesne
  • Gens de mer à Dunkerque aux 17ème et 18 ème siècles, par Alain Cabanton et Jacky Messiean
  • Les corsaires dunkerquois et Jean Bart de 1662 à 1702 ; La grande guerre des corsaires dunkerquois ; par Henri Malo

D'une façon générale, on trouvera un fond bibliographique spécialisé très riche à la bibliothèque du Musée portuaire de Dunkerque.


Logo internet.png Liens utiles (externes)

  • Isle of Tortuga; (Ile de la Tortue Haïti) ce site en anglais comporte une page intitulée "Privateers and pirates" (Corsaires et Pirates), qui constitue une liste impressionnante de patronymes ; on y trouvera de nombreux noms de corsaires dunkerquois moins connus, de milieu social plus modeste, ou même de milieu social élevé, comme la dynastie des Collaert/Collaart, qui compte des amiraux et que l'on s'étonne de ne pas mieux connaître par des sources françaises ; la gloire est chose capricieuse ; d'une façon générale, le fait qu'il s'agisse d'une source en anglais le rend complémentaire des sources françaises ; les "corsaires" qui y cités sont connus des auteurs de par leurs victimes, qui n'ont pas toujours eu l'occasion de leur demander leur lettre de marque.