Espagnols ou pas ? Les noms terminés en -ez

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Les noms de famille terminés en -ez sont très nombreux en France. S'il est vrai que l'origine espagnole ne fait aucun doute lorsqu'on a affaire aux patronymes Sanchez, Rodriguez ou Gonzalez, en est-il de même pour les Rogiez, Carliez, Cochez, Pottiez, ou encore Humez, Murez, Delestrez, des noms rencontrés presque toujours dans le Nord-Pas-de-Calais ?


Au risque de décevoir certains, disons-le tout de suite, la réponse est « non ». Les lignes qui suivent devraient permettre de dissiper les doutes, éventuellement de briser quelques rêves, et en tout cas de tordre le cou aux idées reçues.

Les noms espagnols en -ez

Première idée reçue : tous les Espagnols ont des noms finissant par -ez. C'est évidemment faux, et il n'y a sans doute guère plus d'une cinquantaine de patronymes espagnols ainsi terminés. Mais il est vrai que ceux-ci sont très portés, et de plus largement exportés. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, département frontalier ayant connu une forte immigration espagnole ces cinquante dernières années, on trouve parmi les dix noms les plus répandus en l'an 2000 pas moins de six de ces patronymes : Martinez, Lopez, Sanchez, Perez, Fernandez et Rodriguez. Suivent à quelques encablures Gomez, Gonzalez, Hernandez et Gimenez. Et puis c'est à peu près tout, il faut aller très loin dans la liste pour en trouver quelques autres. Le point commun à tous ces noms, c'est qu'ils sont formés avec un suffixe de filiation à partir de prénoms très répandus. Ainsi Martinez est le fils de Martin, Perez celui de Pedro et Rodriguez celui de Rodrigo (ou Rodrigue, pour les amateurs de tragédies cornéliennes). On trouvera l'explication des autres noms dans la base de GeneaNet. Il n'y a apparemment aucune exception : même Suarez, souvent rattaché au latin sutor (= cordonnier), vient en fait d'un ancien prénom, Suero, nom de personne d'origine germanique latinisé en Suerius. On retrouve la même formation au Portugal (Lopes, Gomes) et en Catalogne (Llopis, Gomis).

La finale -ez dans le Nord-Pas-de-Calais

Seconde idée reçue : les Espagnols ayant longtemps occupé les Flandres, ils y auraient fait souche et laissé de nombreux patronymes dans cette région. Je laisse aux historiens le soin de nous dire si les Espagnols ont beaucoup procréé dans les Flandres, mais une chose est sûre : aucun des noms de famille en -ez que l'on y rencontre depuis des siècles, et il y en a plusieurs centaines, n'est d'origine espagnole. Presque tous sont formés à partir de noms généralement bien français, terminés par les suffixes -et, -ier, -er. Reprenons les exemples cités plus haut : Rogiez (également Rogez) renvoie évidemment au prénom Roger , souvent rencontré sous la forme Rogier dans le Nord. Carliez correspond à Carlier, autrement dit le charron. Dans Cochez, on reconnaît Cochet (le jeune coq, surnom donné sans doute à un personnage prétentieux). Il en va de même pour Pottiez (le potier), Humez (ou Humet, le bois d'ormes), Murez (Muret, le petit mur, la petite forteresse), et Delestrez (de la route, latin strata, le nom se rencontrant aussi sous la forme Delestret). Mais alors, pourquoi ce z à la fin des noms ? Plutôt qu'à une influence espagnole, il faut penser à une habitude flamande, celle de marquer la filiation par un -s, génitif que l'on retrouve également en Angleterre. Prenons un nouvel exemple, celui du patronyme Willemez, pour lequel on peut difficilement imaginer une origine espagnole. Le nom de départ est Willem, Willeme, équivalent du prénom Guillaume. Sur Willem, on a formé le diminutif Willemet, rencontré notamment dans la Marne et le Pas-de-Calais. Dans ce dernier département, Willemet devient Willemetz, forme transitoire si l'on peut dire, et l'on retrouve bien sûr des Willemez, mais plutôt dans la Meuse. Car cette finale -ez ne se rencontre pas que dans le Nord-Pas-de-Calais. On la trouve aussi en Lorraine et surtout en Franche-Comté, où par exemple Jacquet devient Jacquez. Là encore, même s'il y a eu occupation espagnole, l'Espagne n'est pour rien dans la transformation du suffixe. Dans tous les cas, il est bon de le rappeler, le z ne se prononce pas et ne s'est jamais prononcé.

Le piège breton

Enfin il y a en Bretagne de nombreux Perez, pour lesquels (troisième idée reçue) on a parfois évoqué l'hypothèse de marins ou de soldats espagnols ayant fait naufrage sur les côtes bretonnes. Certes, il y a de quoi s'y tromper, mais -ez (ou -es) est bien un suffixe breton marquant le féminin, assez rare certes, rencontré dans le Finistère. Les exemples sont peu nombreux, mais ils existent. Précisons, même si l'on sort un peu du thème de cet article, que le Morbihan renferme également bien des pièges avec le suffixe -o, équivalent du -ou finistérien, qui donne automatiquement des allures italiennes ou espagnoles à des noms qui sont pourtant bel et bien bretons (Oliviero, Prono, Jeanno, Jaffrédo). En fait, lorsqu'on donne à un nom une origine quelque peu exotique, on a parfois raison, surtout si l'on s'appuie sur de solides preuves généalogiques, ce qui est préférable à de vagues traditions familiales. Mais le plus souvent la solution est ailleurs, beaucoup plus près de soi qu'on ne le pense.

Jean Tosti