Abbaye d'Hautecombe

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Vue depuis le belvédère d'Ontex Photo B.ohland

L'abbaye d'Hautecombe, au bord du lac du Bourget, est l'un des joyaux du patrimoine de Savoie.
Érigée au XIIe siècle par des Cisterciens, elle étonne par son architecture luxuriante. La raison en est sa vocation de nécropole princière dès son origine, ce qui amène le roi sarde Charles-Félix à restaurer l'édifice au XIXe siècle, avec exubérance, et y faire renaître une vie monastique.
L'abbaye attise aussi la curiosité par la présence d'une grange batelière.

Implantation

  • L'emplacement originel était tout autre. En effet, des moines bénédictins d'Aulps avaient d'abord choisi la rive orientale du lac du Bourget, sur les flancs de la colline de Cessens. Il s'y trouvait une petite dépression qu'ils avaient appelée « haut vallon (ou "haute combe") »[1]. En 1135, ils s'affilient à l'abbaye de Clairvaux et deviennent donc Cisterciens.
  • Puis, comme c'était souvent le cas chez les Cisterciens, il opèrent un transfert en délaissant ce site primitif « au profit d'un second mieux adapté »[2]. Ils optent cette fois pour la rive occidentale, plus sauvage car située au pied du Mont du Chat, et investissent un léger promontoire à Charaï, à mi-chemin entre Le Bourget-du-Lac et Portout (commune de Chanaz). Ils donnent à ce site le nom de « Hautecombe » en souvenir du lieu précédent.
Une légende prétend que cet endroit leur aurait été révélé par une lueur divine. En fait c'étaient des terres seigneuriales, offertes par le comte de Savoie Amédée III (1095-1148)[3].

Historique

L'abbaye en 1920
  • Lorsque les moines s'installent sur cette rive occidentale du lac, en 1137, ils commencent à bâtir la grange batelière, puis s'adonnent à l'élevage et la viticulture. Deux ans plus tard, l'abbaye prend forme et devient rapidement un important lieu de prière. Par ailleurs, l'édifice évolue peu à peu en nécropole pour les souverains de la maison de Savoie.
L'abbaye de Hautecombe connaît une grande prospérité aux XIIIe et XIVe siècles, « jouissant d'une grande puissance séculière et d'un intense rayonnement spirituel »[4]. Elle va même donner naissance à une abbaye-fille, en 1210, en Grèce.
  • Cependant, un déclin s'amorce au XVe siècle. À cette époque en effet, les princes savoyards commencent à s'intéresser à l'Italie. L'abbaye tombe sous le régime de la "commende"[5]. Puis arrivent les guerres de religion qui freinent encore plus sa vocation spirituelle. L'affaiblissement du domaine monastique va durer presque trois siècles.
  • C'est seulement au XVIIIe siècle que commencent des restaurations, sous l'impulsion de la Maison de Savoie. Mais la Révolution française arrive et sonne le glas de l'institution : moines chassés, site vandalisé, et tombes saccagées. Vendu en 1799, le domaine va abriter pendant huit ans une faïencerie. Puis il est abandonné.
  • Le XIXe siècle et le courant du Romantisme s'accompagnent d'un intérêt pour ces ruines abbatiales. Parmi les intellectuels qui fréquentent les lieux, LAMARTINE s'y attache particulièrement et s'en inspire à deux reprises, pour écrire son célèbre poème Le Lac, en 1820, et pour en faire le décor de son roman Raphaël, en 1849.
Parallèlement, voulant préserver le lieu de sépulture de ses ancêtres, le duc de Savoie et roi de Sardaigne Charles-Félix (1765-1831)[6] le rachète et entreprend de le restaurer, avec faste. Et souhaitant le faire revivre sur le plan monastique, il y fait venir des Cisterciens « de Notre-Dame-de-la-Consolata de Turin »[7]. À la mort du roi, sa femme Marie-Christine fait poursuivre la restauration, avec notamment la façade de l'abbatiale.
  • En 1914, l'abbaye de Hautecombe est classée aux Monuments historiques[8].
Des Cisterciens demeurent en ce lieu jusqu'en 1922. Sont ensuite présents des Bénédictins jusqu'en 1992. Actuellement le site monastique continue à vivre religieusement avec la présence de la Communauté catholique du Chemin Neuf[9].


Composition du domaine monastique

En arrivant de l'aire de stationnement, c'est la porte de l'Aumône, datant du XVe siècle, qui nous permet de pénétrer sur le site.

Abbatiale

Église abbatiale de semi-profil Photo B.ohland
Centre de la façade Photo B.ohland

En contrebas d'une pente douce apparaît l'église abbatiale, et là, surprise : son esthétique ne correspond pas du tout aux traditions cisterciennes d'épurement et de sobriété, mais fait preuve d'une grande exubérance.

La façade, en effet, date de 1843 et témoigne des rêves de grandeur du couple royal. Les souverains ont d'ailleurs laissé leur signature dans l'architecture : initiales de la reine Marie-Christine dans une couronne, les lettres DDD DOM[10] autour de la rosace, et la phrase « ici repose Charles-Félix, le meilleur des rois », en latin, sur les feuilles de chêne d'une frise végétale.
La façade est rythmée par des piliers ornés de grandes statues. Les quatre du niveau inférieur représentent la Foi, l'Espérance, la Charité et la Religion. Celles du niveau supérieur symbolisent la Justice, la Force, la Tempérance et la Prudence.

L'intérieur

  • La nef est précédée par un narthex rajouté au XVIe siècle, appelé aussi Chapelle de Belley. De part et d'autre du passage central, il abrite deux petites chapelles fermées par des grilles. La chapelle de gauche, vouée à Notre-Dame des Anges, abrite les tombeaux de Charles-Félix (inhumé en 1831) et de son épouse (inhumée en 1849). Dans la chapelle de droite se trouvent les tombeaux du dernier roi d'Italie Humbert II (inhumé en 1983), et de son épouse Marie-José (inhumée en 2001). Les voûtes de ces deux chapelles, recouvertes de stuc très ouvragé, nous donnent un avant-goût du style opulent qui va se retrouver dans tout l'édifice.
Voûtes de la nef vues depuis le chœur


  • La nef :
Si elle a gardé son plan en Croix latine et quelques vestiges du XIIe siècle, elle a été ensuite remaniée à diverses reprises :
- à gauche du chevet a été rajoutée au XIVe siècle, sous l'impulsion du comte Aymon le Pacifique, la chapelle des Princes : le comte y est enseveli, ainsi que d'autres princes et princesses. Des niches gothiques abritent des tableaux représentant des prophètes ; au-dessus se dressent diverses statues ; les vitraux sont l'œuvre d'un verrier autrichien.
- dans le collatéral nord, subsiste un autel en bois sculpté dans un style baroque, réalisé au XVIIe siècle. Dédié à saint Benoît, il représente le saint tenant la Règle des moines bénédictins.
- sur la façade septentrionale, a été bâtie au XIXe siècle la chapelle Saint-Félix : de forme ronde, elle est de style néoclassique et met en valeur une statue du saint[11] et des bas-reliefs illustrant son martyre.
Mais ce qui caractérise cette nef, c'est son style néogothique troubadour, appelé aussi gothique romantique, dû au souhait de Charles-Félix et à l'architecte Ernest MELANO. Une profusion de décors en stuc sur les piliers, les voûtes et même les tombeaux donnent à l'édifice un aspect très luxuriant. À cela se rajoutent de nombreuses fresques, dans le transept notamment, ou des médaillons s'inscrivant entre les voûtes, dont « des peintures de Gonin et Vacca »[12].
Une autre particularité est le nombre de statues présentes dans le sanctuaire : environ 300, dont 120 pleureuses, statuettes délicates figurant le deuil ou la prière et « ciselées par les frères Cacciatori »[13].
Enfin, le nombre de cénotaphes ou tombeaux impressionne (voir section "Nécropole royale").



Quelques chefs-d'œuvre

  • Deux statues monumentales nous accueillent de part et d'autre de l'entrée dans la nef :
- À gauche, celle représentant la reine Marie-Christine en protectrice, sculptée dans un monobloc de marbre de Carrare par Jean ALBERTONI. Son souci du détail était tel qu'il a mis huit années à la réaliser.
- À droite, celle du roi Charles-Félix, tenant le sceptre royal et la charte de fondation de l'abbaye. Elle a été sculptée par Benoît CACCIATORI.
  • Une très belle pietà en marbre est exposée dans la chapelle du transept sud, dédiée à saint Alphonse de Liguori. Elle a également été sculptée par CACCIATORI et offerte au roi.
  • Différentes peintures :
- sur un autel latéral, le panneau central d'un retable représente une Annonciation, réalisée en 1520 par Defendente FERRARI.
- dans le collatéral sud, la Lactation à saint Bernard est une peinture sur bois du XVIe siècle, classée au titre des Objets historiques[14].


Une nécropole royale

Tombeau de Thomas II de Savoie, qui a vécu au château du Bourget-du-Lac

L'habitude de se faire inhumer à Hautecombe est initiée à la fin du XIIe siècle par Humbert III de Savoie, inhumé à l'époque dans la grange batelière.
Entre les XIIIe et XVe siècles, ce seront plus d'une quarantaine de comtes et comtesses, ducs et duchesses, princes et princesses qui se feront inhumer dans l'abbatiale.
De part et d'autre du maître-autel, des tombeaux avec portiques gothiques très ouvragés font figure de lits à baldaquin. Reposent là, à gauche : Aymon le Pacifique et son épouse Yolande de Montferrat. Et à droite : Louis de Savoie et son épouse Jeanne de Montfort. La plupart des nombreux et illustres corps seront par la suite rassemblés dans un caveau funéraire, en-dessous de la chapelle des Princes, ne laissant dans l'édifice que des cénotaphes.

Monastère et autres éléments

  • Le monastère ne se visite pas (sauf lors des journées du patrimoine) car une communauté religieuse continue à y vivre et y prier.
De même, le cloître n'est pas accessible. Mais un coup d'œil à travers les fenêtres de la boutique nous permet d'admirer la sobriété des arcades en plein cintre de la galerie occidentale (du XVe siècle) alors que les trois autres galeries sont plus tardives.
Dans le réfectoire, accessible depuis la galerie sud, les voûtes sont décorées de fresques « en trompe-l'œil »[15].
  • À côté du monastère, une petite chapelle, dédiée à saint André, a remplacé l'oratoire d'origine. Si elle a conservé quelques arcatures et colonnes romanes, elle a été restaurée au XIXe siècle par MELANO (architecte de l'abbatiale).
  • Sur la partie occidentale du domaine se dressent des appartements royaux, aménagés avec faste du temps de Charles-Félix. Leurs plafonds sont décorés de scènes bibliques, peintes par les frères VACCA.
  • Enfin, adossée au chevet de la chapelle et soutenue par la muraille d'enceinte, se dresse une tour-phare. Elle existe depuis 1833 car les moines avaient été chargés d'allumer un fanal par mauvais temps, et de porter secours aux éventuels naufragés ou marins en détresse. Elle a servi jusqu'au milieu du siècle.

Grange batelière

Vue depuis l'abbaye

Véritable silo sur l'eau, unique en France, cette grange située près de l'embarcadère actuel est le premier élément à être bâti au XIIe siècle. Sa simplicité et sa robustesse correspondant aux principes cisterciens et ont permis sa pérennité.

Ouverture de la darse, côté embarcadère

La grange comprend un rez-de-chaussée voûté en berceau, avec arcades ouvertes côté lac pour y faire entrer les bateaux, une darse pour les entreposer et une cale sèche.
À l'étage, un vaste grenier servait à entreposer « le grain et la farine »[16].
Au début, les premiers souverains de Savoie y ont été inhumés, avant d'être transférés dans l'abbatiale.

Illustrations - Photos anciennes.png En photos

Photos

Cartes Postales

Personnalités marquantes

Prénom(s) NOM Période Observations
Amédée de CLERMONT
appelé aussi Amédée de LAUSANNE
abbé de 1139 à 1144 Né en 1110 - Joue un rôle important lors du transfert de Cessens à Hautecombe - À l'origine de l'élévation de l'abbatiale - Devient évêque de Lausanne en 1145 - Décède en 1159  
Humbert III de SAVOIE moine vers 1180 Né en 1136 - 8e comte de Maurienne - Partagé entre sa vie politique et ses aspirations religieuses - Fondateur de la chartreuse d'Aillon - Se retire à Hautecombe à la fin de sa vie, y devient moine, et demande a y être inhumé - Décède en 1189 - Sera béatifié en 1838  
Geoffroy d'AUXERRE
ou de CLAIRVAUX
abbé de 1176 à 1188 Né entre 1115 et 1120 - Moine cistercien - D'abord abbé de Clairvaux (1162-1165) - Secrétaire et chroniqueur - Abbé de Fossanova de 1170 à 1776 - Décède après 1200  
Gioffredo CASTIGLIONI moine avant 1238 Petit-neveu d'Urbain II ici - Devient cardinal évêque de Sabina en 1238 - Élu pape en 1241 sous le nom de Célestin IV - Décède en 1241  
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Sébastien d'ORLIER prieur de 1473 à 1498 Ses armoiries ont été sculptées sur la chaire en noyer de l'église Saint-Pierre de Saint-Pierre-de-Curtille  
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Nuvola apps bookcase.png Bibliographie

  • Guide Vert, Alpes du nord, Nanterre, Michelin Travel Partner, 2020, ISBN 978-2-06-725088-8
  • Guide Savoie Mont-Blanc, Paris, Lonely Planet, 2019, ISBN 978-2-81617-727-5
  • Abbaye d'Hautecombe, Valloire, Éditions Wadoo, 2018, ISBN 979-10-93016-15-3
  • Alain ERLANDE-BRANDEBURG, Les abbayes cisterciennes, collection "Patrimoine", Éditions Jean-Paul GISSEROT, Luçon, 2017, 64 pages
  • Dépliant de la visite

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Référence.png Notes et références

  1. Abbaye d'Hautecombe, Valloire, Éditions Wadoo, 2018, ISBN 979-10-93016-15-3
  2. Alain ERLANDE-BRANDEBURG, Les abbayes cisterciennes, collection "Patrimoine", Éditions Jean-Paul GISSEROT, Luçon, 2017, 64 pages
  3. Fils de Humbert II de Savoie. Seigneur du Bugey, du Chablais et d'Aoste. Septième comte en Maurienne
  4. Guide Savoie Mont-Blanc, Paris, Lonely Planet, 2019, ISBN 978-2-81617-727-5
  5. Les abbés commendataires ne sont plus systématiquement des religieux et ont le droit de toucher des bénéfices sur la gestion du lieu
  6. Cinquième fils d'Amédée III et Marie-Antoinette d'Espagne. Duc de Sardaigne et prince de Piémont, il devient roi de Sardaigne en 1821.
  7. Abbaye d'Hautecombe, Valloire, Éditions Wadoo, 2018, ISBN 979-10-93016-15-3
  8. Base Mérimée
  9. Fondée à Lyon en 1973
  10. Signifiant "Dedit Donavit Dedicavit Deo Optimo Maximo", équivalent de "a offert, donné, dédié cette Église à Dieu, très bon et très grand"
  11. Saint Félix est le patron du roi de Sardaigne
  12. Guide Vert, Alpes du nord, Nanterre, Michelin Travel Partner, 2020, ISBN 978-2-06-725088-8
  13. Abbaye d'Hautecombe, Valloire, Éditions Wadoo, 2018, ISBN 979-10-93016-15-3
  14. Base Palissy
  15. Abbaye d'Hautecombe, Valloire, Éditions Wadoo, 2018, ISBN 979-10-93016-15-3
  16. Guide Savoie Mont-Blanc, Paris, Lonely Planet, 2019, ISBN 978-2-81617-727-5

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