50218 - Granville - Dictionnaire géographique

De Geneawiki
Aller à la navigation Aller à la recherche

< Retour à l'histoire de Granville


Notice


Publié par l'Abbé Expilly, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, 1764, t. 3, p. 647.



GRANDVILLE, Granivilla, ville avec titre de vicomté, siège d'amirauté, bureau des cinq grosses fermes, bureau du tabac, port de mer, &c. en Normandie, diocèse & élection de Coutances, parlement de Rouen, intendance de Caen. On y compte 470 feux. Cette ville est située sur le haut d'uni rocher escarpé de tous côtés, & presque environné de la mer, & séparé de terre-ferme, vers l'orient par une tranchée de 20.pieds de large, taillée dans le roc, qui en forme une isle facile à inonder des eaux de la mer, par le moyen de ce fossé, à 4 lieues N. O. d'Avranches, 5 & tiers S. O. de Coutances, 4. & tiers N. N. O. du Mont-Saint-Michel, 6. N. N. O. de Pontorson, 16. & demie O. S. O. de Caen, 5 & deux tiers N. E. de Cancale, 7 & demie N. O. de Saint-Malo, par mer. Long. 16.2. 53. lat. 48. 50. 11. Ses armes sont d'azur, au bras armé d'argent, sortant d'un nuage, accompagné de trois étoiles d'or. Le bras armé & les étoiles signifient que la ville est & doit être armée jour & nuit pour sa propre défense, selon l'intention de Charles VII de qui elle tient ces armoiries.

La forme de Grandville est un ovale fort ellipsé, ceint d'une simple muraille, que le Roi a fait réparer en 1727, 1728, 1729, 1730 & 1731. Sa longueur s'étend de l'orient à l'occident, allant en pente des deux bouts dans le centre, & sa largeur du midi au septentrion.

Cette ville n'est pas fort ancienne. On voit, par un contrat de- 1439 que Thomas , Sire Descalles Dancelles, Chevalier Anglais, qui prend la qualité de Vidame de Chartres, Capitaine-général des Basses-Marches & Sénéchal en Normandie, est le premier Fondateur; & qu'il fieffait de Jean d'Argouges, Seigneur de Gratot, la Roque & la montagne de Grandville, par le prix d'un chapeau de roses vermeilles, payable au jour de Saint-Jean-Baptiste. Par une charte de Charles VII du mois de mars de l’an 1445. on voit qu'elle ne commença à être édifiée par les Anglais, qu'en 1440. On voit aussi par cette charte, que cette place fut trouvée considérable, regardée comme la plus forte de ce temps, & comme une clef de Normandie, & que Charles VII la fît fortifier, y mit pour Gouverneur Jean de Lorraine, avec une forte garnison, & qu'il accorda à ceux qui y voudraient venir demeurer, les privilèges portés par cette charte.

Les fortifications en furent démolies en 1689& les munitions de guerre furent embarquées pour être portées au port du Havre-de-Grace, sur un vaisseau qui périt en y allant.

Elle a deux fauxbourgs, nommés le Grand & le Petit, qui font séparés par une petite rivière ou ruisseau, auquel on donne le nom de Bosc ou Parquiet.

Le grand fauxbourg est au sud de la ville : il commence où finit la promenade nommée L’Evre (Ndc :l'Oeuvre), dont il sera parlé ci-après, & s'étend tout le long du pied de la côte, sur laquelle est située la ville, jusqu'à la tranchée ou fossé taillé dans le roc, dont il a été parlé ci-dessus, vulgairement appelle Gueule d'âne, & se divise-là en deux.

L'autre partie est appelée fauxbourg Donville ou d'Inville, à cause qu'elle est située sur la paroisse de ce nom.

Le petit fauxbourg est vers le sud du grand fauxbourg, de l'autre côté de la rivière ou ruisseau. Il sert de magasin général pour toutes les marchandises & denrées qui se vendent à Grandville ; & c'est le rendez-vous des Marchands forains qui viennent dans ce lieu. Au bout de ce fauxbourg, sur la grève, du côté du sud, il y a des corderies découvertes, qui sont les seules de la ville. C’est sur ces grèves, & sur celles du grand fauxbourg, que l'on construit les navires & autres bâtiments marchands.

Ces deux fauxbourgs communiquent l'un à l'autre par un mauvais petit pont de carreaux étroits & assez mal ajustés au bout les uns des autres, sous lequel coule la rivière, & qu'on ne peut passer lors d'un grand vent, sans risquer de tomber dans l'eau. Ce petit pont est inondé dans toutes les grandes marées ; & alors on passe dans de petits bateaux conduits par des enfants. On assure que la dépense d'un pont convenable en cet endroit ne monterait guère qu'à 3000 livres ou environ.

Le territoire dépendant de la paroisse de Grandville, s'étend jusqu'à une lieue ou environ , de longueur, vers le sud, à l'endroit appelé la campagne St. Nicolas, sur laquelle est le village de la Houlle, qui est considérable.

Il n'y a à Grandville que deux portes, une grande & une petite. La grande est ainsi nommée par rapport à l'autre, & est la seule par laquelle on arrive en cette ville. Elle est située au milieu de son enceinte du côté du sud, donne communication avec les fauxbourgs, & est fortifiée par un pont-levis, aussi-bien que sa fausse-porte, & d'une herse. Au-dessus de cette porte est une maison, vulgairement appelée le logis du Roi, laquelle sert de logement au Fermier du Gouverneur, & a servi à loger le Lieutenant-de-Roi. Elle servait anciennement de corps-de-garde à la milice Bourgeoise. A la sortie de cette porte, il y a une place, qu'on appelle l'Evre, par excellence, plantée de deux rangs d'ormes depuis quelques années , & soutenue d'un grand & gros mur ; le tout ensemble forme un assez bel ouvrage.

La petite porte est appelée la porte des Morts, parce qu'elle est située dans le cimetière. Elle conduit au port, & donne communication avec le Roc, qui est un champ à l'occident de la ville, d'un tiers plus grand, & qui en est séparé par un fossé peu profond & étroit. Ce champ se termine en une pointe, qu'on appelle le Cap de Lihou, très-avancé dans la mer, & s'étend de l'est à l'ouest. Au bout de la pointe, vers le nord, est un petit fort ou redoute, où il y a un corps-de-garde & deux magasins. De l'autre côté de cette pointe, vers le sud, est une petite batterie en fer-à-cheval. Ce champ est comme tombé dans la propriété du Gouverneur, qui le loue à des particuliers qui le labourent, & y mettent paître quelques bestiaux. Mais il y a dans ce champ quantité de lapins, qui détruisent la redoute & la batterie. On mande que fi le Roi donnait permission de bâtir sur cette place, en y attachant les mêmes privilèges qu'à la ville, elle deviendrait bientôt considérable & bien peuplée.

Les rues de Grandville sont en petit nombre, étroites & malaisées à pratiquer, allant presque toutes en montant ou en descendant. Les maisons font toutes de pierres, la plupart de pierres de taille ou d'assez beau carreau, & quelques-unes assez bien bâties. On y compte environ 7000 communiants, ou 10 mille habitants, y compris les enfants au-dessus de sept ans, tant dans la ville, que dans les fauxbourgs, & dans le havre, où il y a une rangée de maisons situées sur le port, au pied du roc, & dans la campagne de Saint-Nicolas.

Les femmes de Grandville sont communément habillées à la paysanne, mais d'une manière singulière. Elles portent une coëffe de toile très-fine & très-claire, qu'elles retroussent d'un seul pli, dont les barbes sont d'une moyenne longueur, & autour du col, un triangle de toile, dont deux des angles viennent se croiser par-devant, & sont attachés avec une épingle au milieu de la poitrine. Les femmes distinguées portent de très belles dentelles autour du triangle. Leurs habits sont de deux pièces : de la ceinture en-haut c'est un corps, qu'elles appellent brassière, la taille en queue de morue par-devant & par-derrière, avec des manches fort grandes , plissées sur l'épaule. Les femmes distinguées les portent de damas, de taffetas, d'écarlate, & de drap fin ; & celles du commun de raz d'Angleterre, d'étamine, de drap d'Elbeuf & de Rouen, souvent de couleur rouge ou bleue. De la ceinture en bas, c'est une jupe fort ample & très longue, faisant beaucoup de plis très-serrés & profonds, de la même étoffe que la brassière. Leurs tabliers sont de taffetas, ou d'étamine, de la longueur de la jupe. Elles sont toutes très bien chaussées, en bas de couleurs, de soie ou de laine, & avec des souliers très propres. Elles portent l'hiver un petit mantelet de camelot sans plis, qui a deux petites manches plates, de six pouces de longueur ; & les femmes un peu distinguées mettent un grand galon d'or sur le collet de ce petit manteau. Il descend jusqu'au jarret. Leurs chemises sont comme celles des hommes, & fendues d'un côté seulement.

Il n'y a à Grandville qu'une seule église paroissiale, une église succursale & un hôpital-général. L'église paroissiale est située à l'un des bouts de la ville, vers le couchant. Elle est sous l'invocation de Notre-Dame. Le vaisseau en est assez grand, & elle n'est ornée que par la charité des habitants. Le trésor en est très-pauvre. On y remarque des orgues qu'on prétend être des plus belles de France, & qui ont été faites par Ingou de Paris ; & une chaire à prêcher en bois de chêne, de bon goût. Quoique le vaisseau soit fort grand, il ne peut contenir à peine que la moitié du peuple, qui est fort dévot dans cette ville. Elle a souvent été maltraitée par la foudre. Le cimetière est autour de l'église, & entouré des murs de la ville. Au bout, vers l'occident, & du côté du midi, il y a un magasin à poudre, cave dans le roc; & du côté du septentrion, un autre magasin fort grand, qui est assez mal entretenu, & sert actuellement d'étable au bétail que l'on met paître sur le champ du roc. L'église succursale est à une demi-lieue de la ville, & elle a été ainsi placée pour la commodité des habitants de la campagne. Elle est sous l'invocation de Saint Nicolas. Ces deux églises sont desservies par deux Curés ; l'une , pour la première portion , à la nomination de M. d'Argouges de Gratot ; & l'autre, pour la féconde portion, à la nomination de M. le Mercier de Grandville, comme Seigneur & Patron du lieu. Ces bénéfices valent environ 1500 livres chacun. Les Curés desservent les deux églises , chacun leur semaine, à l'alternative. Leurs presbytères sont au village de la Houle, à environ un quart de lieue de la ville, afin qu'ils soient à portée de la ville & de la campagne. Le clergé est nombreux à Grandville. Il est composé de deux Curés, de deux Vicaires, & de trente-trois Prêtres, dont douze sont habitués, & partagent aux obits ou fondations, y compris les Curés & les Vicaires. L'office s'y fait avec édification. Les Curés ont aussi chacun un Vicaire à Saint Nicolas, & qui y résident. L'hôpital-général est situé dans le petit fauxbourg. Il a été fondé en 1683, par ordre de Louis XIV, par le feu sieur de Beaubrian, bourgeois de Grandville, pour y recevoir non-seulement les pauvres de la ville, mais encore les Matelots en temps de guerre. Il a de revenu annuel environ 2000 livres & il y a une manufacture d'étoupes à calefater, à laquelle on occupe les pauvres qui peuvent travailler. La chapelle est dédiée à Saint-Sauveur : elle est de bon goût, & est desservie par un Chapelain aux gages de 30. livres par an, payables par l'hôpital. Ce Chapelain est un des habitués de la paroisse de Grandville. Cet hôpital est administré conformément au règlement de 1698, concernant les hôpitaux, en attendant les lettres-patentes, dont on poursuivait l'obtention au temps de la confection du mémoire que nous suivons. Il y avait alors quatre Administrateurs & un Receveur, qui étaient élus tous les trois ans par l'assemblée générale. Les Directeurs-nés sont l’Evêque, le Gouverneur, les Curés, le Vicomte, & le Procureur du Roi de la vicomté, avec le premier Echevin comme Maire.

A l'extrémité de la campagne de Saint-Nicolas, à un quart de lieue de la ville, est un petit couvent de Cordeliers-Réformés, assez beau. Leur maison, le jardin et les bois forment une solitude agréable. Ces Religieux étaient autrefois dans les isles de Chausey, d'où ils furent chassés par les Anglais, il y a environ 225 ans; ayant été reçus par les habitants de Grandville avec tout l'accueil qu'ils pouvaient souhaiter, ils en ont conservé beaucoup de reconnaissance , & font tous les ans une procession solennelle le quatrième dimanche d'après la Quasimodo, avec le Saint-Sacrement, à l'église de Grandville. Ils y chantent la grand'messe paroissiale, & y font un sermon sur la prière. Le clergé de Grandville en corps va recevoir cette procession hors de la porte de la ville, à un endroit du fauxbourg, où l'on a soin de faire un reposoir, & la reconduit jusqu'au même reposoir.

Il n'y a point d'école publique pour les garçons à Grandville ; mais il y en a seulement une pour les filles, tenue gratuitement par une sœur de la Providence qui n'a que son logement, & ce qu'elle peut gagner par quelques pensionnaires qu'elle prend, & par deux retraites qu'elle fait tenir tous les ans, ordinairement par les P. P. Eudistes Missionnaires de Coutances, ou par les Capucins de la même ville, ou autres des environs. Une de ces retraites est destinée pour les hommes, & l'autre pour les femmes. Elles ne se tiennent jamais sans la permission de l'Evêque de Coutances.

Le corps-de-ville est composé de trois Echevins ; dont l'élection se fait tous les trois ans à la pluralité des voix. Ils ne connaissent que des affaires de la communauté, n'ayant aucune justice contentieuse.

Il n'y a point de maison-de-ville ; les assemblées se tiennent dans le logis de la juridiction royale.

La ville n'a aucuns deniers d'octroi, ni autrement ; ce qui cause souvent bien de l'embarras, lorsqu'il y a la moindre chose à entreprendre ou à payer. La milice bourgeoise est sujette seulement au guet & à la garde de la ville. Elle est divisée en sept compagnies, qui ont chacune un Capitaine, deux Lieutenants, deux Sergents, un Caporal & un Anspessade. Le nombre d'hommes n'est point fixé. Chaque compagnie monte la garde alternativement, en paix comme en guerre, sous le commandement du Gouverneur, ou du Lieutenant-de-Roi, ou du Commandant de la place lorsqu'il y en a un.

Il y a un Commandant & un Major bourgeois, & un Capitaine des portes, pourvus de commission du Gouverneur. Ce Commandant donne l'ordre, ou le mot ; &, en son absence, ce sont les Echevins qui le donnent. Il y a aussi un Colonel de la bourgeoisie pourvu de provisions du Roi ; mais il n'est pas reçu & ne fait aucune fonction.

Ces Officiers de milice bourgeoise sont perpétuels, & à la nomination du Gouverneur, depuis la suppression des charges. Cette milice a la réputation de s'être signalée au bombardement de Grandville, & dans les descentes que les ennemis ont voulu tenter dans le voisinage.

Il y a eu pendant longtemps à Grandville un Lieutenant-de-Roi, ou Commandant de la place, par provision ou brevet du Roi. Il y a un Ingénieur en chef qui fait résidence à la Hougue, & vient faire de temps à autre sa tournée à Grandville, surtout lorsqu'il y a des travaux. Les Echevins lui fixèrent en 1731 la somme de 100 liv. pour son logement.

Le gouvernement de Grandville est héréditaire ou aliéné, à la maison de Matignon. Le Prince de Monaco en est Gouverneur. Son revenu est affermé environ 1200 liv. par an, & consiste dans les halles, droits, de coutume, & autres. Ce gouvernement dépend du Gouverneur-général de la province, & est subordonné au Lieutenant-de-Roi de la Basse-Normandie.

Il y a à Grandville 5 juridictions, savoir, vicomté, amirauté, police, traites & la moyenne-justice.

La vicomté est composée du Vicomte, d'un Lieutenant-général, d'un Lieutenant-particulier & d'un Procureur du Roi.

L'amirauté a un Lieutenant-civil & criminel, les deux charges réunies dans la même personne, & un Procureur du Roi. Le greffe appartient à l'Amiral, & est affermé ordinairement 800 liv.

La police a un Lieutenant-général & un Procureur du Roi.

La moyenne-justice a un Sénéchal & un Procureur-Fiscal. Elle appartient à l'Abbé du Mont-Saint-Michel, & tient ses séances dans le fauxbourg. Les appellations de la vicomté & de la moyenne-justice sont portées au bailliage de Coutances.

Toutes ces juridictions sont subordonnées au parlement de Normandie, & l'on y suit la coutume générale de la province, sans exception. Les privilèges qui furent accordés par Charles VII. à la ville de Grandville, consistent en la franchise & exemption des aides, de toutes tailles, emprunts & autres subventions, & redevances quelconques, conformément aux lettres-patentes du mois de Mars 1445. Les bourgeois & habitants ont joui de ces privilèges en leur entier jusqu'en 1675. Depuis ce temps, ils payent l'entrée des boissons, le huitième du prix qu'elles font vendues, & tous les autres droits de nouvelle création. Cependant leurs privilèges ont été confirmés successivement, & même augmentés du pouvoir de faire valoir leurs biens par leurs mains & par celles de leurs domestiques, ainsi qu'il est plus amplement porté par les lettres patentes de Louis XIV du mois de Septembre de l'an 1674. Ces privilèges ont aussi été confirmés en leur entier par lettres-patentes de Louis XV du mois de Mars 1718 avec la réserve, sans néanmoins que les habitants & Echevins de Grandville puissent être exempts du payement des nouveaux droits d'aides, de ceux de jauge & courtage ; & des Inspecteurs des boissons, créés & établis depuis la concession de leurs privilèges, conformément aux arrêts des 24 Août 1675 & 11 & 23 Octobre 1717.

Il n'y a à Grandville aucune fontaine publique ; mais il en existe beaucoup de particulières, puisqu'il y en a dans presque toutes les maisons ; mais l'eau en est saumâtre, & ne sert qu'à laver ; ainsi il n'y en a aucune dont l'eau soit bonne à boire. On a recours à des fontaines voisines, qui tarissent presque toutes pendant l'été ; en sorte qu'on est obligé d'envoyer à un quart de lieue de la ville, ou environ, pour avoir de bonne eau.

Il n'y a qu'une place publique ou grand carrefour, qui sert de marché pour le poisson. Elle est située presque au centre de la ville. Au milieu de cette place, est un grand puits de pierre de taille, dont l'eau est saumâtre ; & de l'autre côté du puits, est une place d'armes passablement grande, qui sert de marché aux herbes, & où le Fermier du Gouverneur exige le droit d'étalage.

A l'un des bouts de la ville, vers l'orient, est un moulin-à-vent qui appartient à un particulier de la ville. Il se tient tous les samedis, aux environs de ce moulin, un grand marché au blé, & pour la viande, la volaille, le gibier & autres petites denrées ; pour du lin & du chanvre, mais en petite quantité. On prétend que ce marché doit être franc, & on ne sait pourquoi on exige le droit de coutume fur le blé, & les langues de bœuf en entier, qui sont partagées par moitié entre le Fermier du Gouverneur & le Fermier du droit de coutume. Le premier de ces Fermiers y exige aussi les ris de veau, & un droit d'étalage, quoique les halles soient, ajoute-t-on, très mal entretenues, & que celle destinée pour mettre le blé à couvert soit totalement détruite depuis plusieurs années. Le droit de coutume qui se perçoit dans ce marché, appartient au Gouverneur, & fait partie du revenu du gouvernement ; & le droit de mesurage appartient à un particulier à qui le Roi en a fait don ; le dernier de ces droits est affermé ordinairement 200 liv.

Le domaine du Roi est aliéné en partie à l'Amiral de France. Il consiste en rentes sur quelques maisons, au poids-le-Roi, & au greffe de la vicomté. Le tout est affermé 450 liv.

Les grains se mesurent à la ruche. Elle contient 24 pots & pinte. La ruche pour le blé pèse 70 ou 72 livres de 16 onces chacune. La mesure pour les boissons est le pot, mesure d'Arques. Il doit contenir quatre livres d'eau. La moitié du pot est la pinte, le quart la chopine, &c. Les traites-foraines & quart bouillon produisent au Roi, année commune, 50 mille livres. Les aides, 25 mille livres. L'entrepôt de tabac, 20 mille livres. Et le contrôle des actes des Notaires & exploits, 8000 liv. Ce qui fait un total de 103 mille livres.

Les Fermiers-généraux ont à Grandville une patache qui croise depuis St. Malo jusqu’à Carteret. L'Amiral de France y a un Receveur de ses droits, qui se montent à 12 ou 1500 liv. par an. Il y a un Maître de quai, pourvu par l'Amiral dès 1729 mais il est sans appointements ni émoluments, & c'est à cette condition qu'il a été pourvu.

A deux bonnes lieues S. E. de Grandville, dans la paroisse de la vieille Luzerne, est une belle abbaye de Prémontrés, dont l'Abbé est régulier. Elle est située dans un fond, à l'extrémité d'un grand bois taillis, qui fournit tous les ans à Grandville quantité de fagots. Voyez la Luzerne.

Les iles de Chausey font au N. O. de Grandville, & appartiennent à la maison de Matignon, qui les afferme ordinairement à des habitants de Saint-Malo. Il y a beaucoup d'ouvriers employés à tirer & à piquer du carreau de grais fort beau, qu'on transporte à Saint-Malo, à Grandville, & autres lieux pour les fortifications, & pour bâtir des maisons. Les Anglais y en vont prendre aussi pour fortifier leurs isles de Gerzey & de Garnezey. Il y a sur les isles de Chausey, une petite chapelle & un Chapelain, pour les ouvriers & à leurs gages. Ces ouvriers tirent de Grandville tous leurs aliments & autres choses nécessaires. Voyez Chausey.

Grandville n'a de terre-ferme que du côté de l'est, où il y a trois campagnes qui s'étendent jusqu'à demi-lieue de la ville, allant du nord au sud ; savoir, la campagne de Donville, la campagne de Saint-Nicolas, & celle de Saint-Pair.

Les environs de Grandville produisent des pommes à faire du cidre, des seigles, de l'orge, peu d'avoine & peu de froment, du lin & quelque peu de chanvre.

Le port de cette ville est situé est-sud-est & ouest-nord-ouest, au pied du roc, du côté du sud, entre la ville & la petite batterie qui est sur le roc, & dont il a été parlé ci-devant. Ce port est fermé par une seule chaussée ou jetée de pierres sèches de 84 toises de longueur, sur cinq toises de hauteur & autant de largeur; & cette jetée fait une espèce de coude vers le milieu. Il monte dans ce port 25 pieds d'eau de grande mer, & neuf pieds de morte eau. Il peut contenir environ 60 navires. Il serait très-nécessaire qu'il y eût un fanal au bout de cette jetée, pour servir de reconnaissance la nuit. Elle a été construite & est entretenue par les habitants, à leurs frais & dépens, moyennant un droit qu'ils lèvent sur leurs navires & autres bâtiments marchands ; lequel droit ils augmentent, lorsqu'ils le jugent à propos, & suivant les besoins, pour l'exécution & la prolongation de cette jetée. Ceux qui sont chargés de la recette de ce droit, rendent compte à la communauté, étant dispensé de le rendre ailleurs : le tout conformément au délibérations des habitants, à une sentence du bailliage de Coutances, aux arrêts du parlement de Normandie, aux arrêts du conseil, & aux lettres-patentes en conséquence, en date des 4 Mars 1564, 25 Mai & 4 Août 1573, 17 Juin 1613, dernier de Mai & 28 de Juin 1618 & 18 Juillet 1688. Ces droits consistent aujourd'hui, savoir, pour les navires au-dessous de 100 tonneaux, 10 livres ; pour ceux au-dessus, jusqu'à 150 tonneaux, 15 livres ; pour ceux au-dessus de 150 tonneaux, 20 livres ; pour les barques, gabarres & bateaux, chacun 4 livres par an. A l'égard des bâtiments qui ne sont pas du lieu, & qui y viennent faire décharge, ils payent deux sols par tonneau ; & ceux qui n'y viennent qu'en relâche, payent un sol par tonneau. Année commune ces droits produisent ensemble 700 liv. ou environ. Depuis le commencement de cette jetée, jusqu'à la place appelée l'Evre, dont il a été parlé ci-devant , il règne une espèce de quai aussi mal bâti que mal entretenu, avec des maisons bâties le long de la grève, contre le roc , qui vont joindre le grand feuxbourg, & en font une continuation.

Il n'y a point de rade. Les vaisseaux mouillent à la pointe de Lihou où le fond est bon. Mais, à trois lieues de Grandville, font la rade de Cancale qui est très-bonne, & la rade de Chausey qui n'est pas si bonne, & où les vaisseaux mouillent en sortant, ou en arrivant de mauvais temps.

Il se lève à Grandville & à Regnéville ( à 4.1. N. N. E. de Grandville) un droit de deux sols par tonneau, tant à l'entrée qu'au retour des vaisseaux, barques, bateaux & autres bâtiments, pour l'entretien du feu du cap de Frehel en Bretagne (à 4 1ieues. O. N. O. de St. Malo), conformément à l'arrêt du conseil du 21 Avril 1717. Le cap de Frehel est situé à quelque distance du château de la Late, à 4 1ieues O. N. O. de St. Malo; & par conséquent les Maîtres de gabarres & de bateaux de Grandville n'y partent point pour aller de port en port de Basse-Normandie. Cependant ces Maîtres se plaignent de ce qu'on leur fait payer ce droit trois fois dans un même voyage. Par exemple, un bateau qui part de Grandville pour aller à Regnéville (à 2 lieues S. O. de Coutances) y charger pour Saint-Malo, paye le droit à Regnéville, dont le Receveur ne donne point de quittance ; partant de Regnéville pour Saint-Malo, & relâchant à Grandville, par vents contraires, il y paye le droit ; & étant arrivé à Saint-Malo, il y paye encore le droit. Un bateau qui part de Grandville pour aller au Groin du Sud, situé dans le fond de la baye du Mont-Saint-Michel, laquelle fait presque une même baye avec celle de Grandville, pour y charger pour Regnéville, paye le droit en arrivant à Regnéville, & il le paye encore en faisant son retour à Grandville. Les bateaux passagers de Grandville à Saint-Malo, le payent aussi deux fois, l'une en arrivant à Saint-Malo, & l'autre en faisant leur retour à Grandville ; quoique ce feu ne leur soit d'aucune utilité dans un trajet de dix à sept lieues, & qu'ils le fassent de jour, & souvent en quatre ou cinq heures. Ceux qui vont à la côte de Bretagne, & qui passent devant le cap de Frehel, se plaignent que le plus souvent ils n'y voient point de feu. Ce droit est passé par adjudication.

L'Adjudicataire fait sa résidence à Saint-Malo. Il a un Commis à Grandville, & un autre à Regnéville. La recette du premier produit cinq ou six cents livres ; celle du second 300 liv. & celle de Saint-Malo 2800 ou 3000 liv. de manière que le tout ensemble peut produire à l'Adjudicataire 3600 ou 3900 liv. par an. On estime que l'entretien du feu du cap de Frehel peut monter environ à 15 ou 180. liv. par an ; en sorte que la recette de Saint-Malo feule est plus que suffisante pour cet entretien, & que le surplus seroit très utilement employé à l'établissement & à l'entretien d'un feu très nécessaire & même indispensable pour la sureté de la navigation à la pointe du roc de Grandville, nommée le Cap de Lihou, très avancé dans la mer ; ou au moins à l'établissement & entretien d'un fanal au bout de la jetée du port. Mais ce feu serait beaucoup plus utile pour les navires qui viennent de la partie du nord ; le seul produit même de ce qui se perçoit à Grandville, serait plus que suffisant pour l'établissement & l'entretien de ce feu, dont le Gardien de la redoute pourrait prendre soin. Tel est le contenu d'un mémoire fort détaillé que nous avons suivi jusqu'à présent.

Quant à ce qui concerne le commerce qui se fait à Grandville, & qui se divise en deux branches savoir, le commerce des huîtres & le commerce maritime, nous renvoyons à ce que nous en avons dit assez au long à l'article de la généralité de Caen.

Le 30. Juin 1763. le feu prit entre cinq à six heures du matin aune maison du fauxbourg de Grandville, & brûla en très-peu de temps quatre-vingt-dix-huit maisons, occupées par cent quatre-vingt-seize familles. Une femme périt dans les flammes. Le vent qui soufflait alors, était si violent, que l'incendie eût fait des progrès encore plus considérables, sans la promptitude des secours qu'y firent apporter le sieur de Brébeuf, Commandant, les Officiers & le détachement du corps-royal d'Artillerie, ainsi que les Officiers de l'hôtel-de-ville & de la police. Les Négociants & Armateurs de Grandville ayant représenté au Roi que leur port est assez spacieux pour y contenir beaucoup de navires, & qu'il est situé dans un pays où l'on peut se procurer aisément tout ce qui est propre à ravitaillement des navires, & qui peut servir à étendre la navigation, par la facilité que l'on y a de faire venir de Paris toutes sortes de marchandises; Sa Majefté , par un arrêt de son conseil d’Etat, du 29 Décembre 1763 leur a permis de faire directement par le port de leur ville le commerce des isles & colonies Françaises de l'Amérique, & a ordonné en conséquence qu'ils jouissent du privilège de l'entrepôt & des autres privilèges & exemptions portés par les lettres-patentes du mois d'Avril 1717 ainsi qu'en jouissent les Négociants des ports admis à commerce.