Un curé pas très catholique au XVIIIe siècle
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C'est à Romanèche, aujourd'hui Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire, que s'est déroulée cette affaire hors du commun au milieu du XVIIIe siècle.
Les faits
Tout a commencé lors de recherches sur la commune. Dans les registres paroissiaux, à la fin de l'année, le curé a ajouté quelques observations sur les récoltes de l'année. Rien d'exceptionnel jusque-là, si ce n'est, à la suite de ces observations, des mentions rajoutées par des paroissiens facétieux. En voici le détail (Sources : BMS Romanèche 1751-1760, Collection communale) :
Année & lien | Image | Transcription (en gras, les rajouts) |
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1753 Voir l'acte (img 41/160) |
Cette anné les vins ont etés d'une qualité parfaitte se sont bien gardé.
le curé en a vendu 21 bottes a 27 ecus la botte il s'en est consommé dans son menage 15 bottes mais il s'est soulé comme un gros cochon qu'il est et comme les bles ont etés bons et abondans tous les curés | |
1754 Voir l'acte (img 53/160) |
Cette année le vin a ete de fort mauvaise qualité. aux
premieres chaleurs ils se sont binaigrés ceux de la cure on eté donnes a 15 lt [livre-tournoi] la botte le curé n'en a vendu que pour 400 lt par sa faute en ayent refusé 48 lt et lanne a eté assez abondante en toutes espece de danrés c'est bien fait le gros cochon | |
1755 Voir l'acte (img 70/160) |
Cette année les bles et vins ont etés d'une fort bonne qualité
les recoltes raisonnables pour la quantité les vins de la cure ont etés vendus 19 ecus la botte le curé en a livré 35 bottes et les a garde 12 bottes pour son menage le cochon se soloit [soulait] tous les jours avec des confrères cochons comme lui qui voloient les malheureux | |
1756 Voir l'acte (img 88/160) |
La recolte des vins a eté fort abondante
le cochon de curé en a fait dans les vignes 20 bottes et 45 a la dixme qu'il (?) il en a vendu 45 bottes a 60 lt la botte les pauvres la qualité etoit plus mauvaise que bonne les bles ont etés assez abondants | |
1757 Voir l'acte (img 108/160) |
Les vins n'ont pas etés de bonne qualité le curé en a vendu 15
bottes a 80 la botte No(tai)re Sambin aux vendenges il se sont vendus 120 lt communement il a en a eu 6 bottes aux vignes de la cure et 15 a la dixmes il a perdu à son marché mais c'était trop pour lui ses 15 bottes de dixme sont volés. tous les curés sont voleurs et des pendares. | |
1758 Voir l'acte (img 124/160) |
Cette année les vignes ont gelé aux printemps
il n'y en a la que 19 pieces de vin a la dixme et 10 pieces aux vignes de la cure. jay vendus en levant la dixme 7 bottes a 150 lt la botte a Mrs perouse de Coindrieux les vins etoient de la plus mauvaise qualité les blés n'ont pas été abondans brigand de curé tu les a volés ces 19 pieces de vins aux malheureux, tu en es responsable devant Dieu | |
1759 Voir l'acte (img 142/160) |
Cette année les vins ont eté d'une mauvaise qualité et de mediocre quantité les autres fouets a proportion (pas de rajout) |
On peut raisonnablement imaginer que les rajouts à la suite des notes du curé ont été faits en une seule fois, le paroissien farceur ayant eu accès au registre du curé pendant que celui-ci avait le dos tourné. Les insultes prêtent à sourire, mais en filigrane se dessine une réelle animosité envers le ministre des lieux. Et l'on se pose alors la question : ces accusations sont-elles fondées, le curé avait-il mérité d'être vilipendé de la sorte ?
Le curé Fonteray
Ces trouvailles m'ayant intrigué, quelques recherches supplémentaires ont permis de trouver le document suivant (issu de l'Inventaire-sommaire des archives départementales de Saône-et-Loire, par L. Michon, ) dans la Bibliothèque de Geneanet :
On y apprend l'existence d'une plainte émanant du curé dont on découvre par la même occasion le prénom, Jacques (Fonteray, aussi orthographié Fonteret). Elle sera évoquée plus loin.
Mais qui était-il, d'ailleurs, ce curé ? En fouillant un peu les registres paroissiaux et les arbres en ligne sur Geneanet, on trouve d'abord son décès à Romanèche :
Jacques Fonteray est décédé le 11 novembre 1788, à l'âge d'environ 61 ans (ce qui signifie que les insultes dont il fut victime datent de sa jeunesse, il n'avait alors qu'une trentaine d'années). Le curé qui signe son acte de décès se nomme Jacques Paul Ambroise Fonteray, et pour cause : il s'agit de son neveu. Sur l'arbre généalogique de Xavier Gille, on trouve notre curé, même si les renseignements fournis sont inexacts : Jacques Paul Ambroise Fonteret, dit décédé après 1792 sans doute par confusion avec son neveu qui possède des prénoms identiques et qui prend sa suite après sa mort (cela est confirmé sur un numéro des "Annales de l'Académie de Mâcon" en 1899 où il est écrit "Jacques Ambroise Fonteray, successeur de son oncle du même nom"), est le fils de Pierre Fonteret, marchand, et de Bénigne Delucenay. Le couple s'est marié en 1730 à Saint-Bonnet-de-Joux, une commune relativement éloignée de Romanèche, à 60 km au nord-ouest de celle-ci.
Origines des familles
Le curé, Jacques Fonteray
D'après l'âge au décès de notre curé, il serait peut-être né d'un précédent mariage de son père, que l'on ne connaît pas. L'origine dudit père est elle aussi inconnue, le statut de "marchand" n'arrangeant rien car signifiant implicitement "voyages et migration"...
- Pierre FONTERET s'est marié une première (ou deuxième) fois, le 7 février 1730 à Saint-Bonnet-de-Joux avec Bénigne DELUCENAY (née le 4 janvier 1699 à Lugny-lès-Charolles (71), décédée le 3 mai 1735 à Saint-Bonnet-de-Joux.
Ils ont eu :
- Jacques FONTERET 1730-1780 marié le 6 août 1754, St-Bonnet-de-Joux, 71394, Saône-et-Loire, Bourgogne, France, avec Antoinette "Benoîte" MORIN ca 1731-1773 dont il a eu comme enfants parvenus à l'âge adulte :
- Pierrette "Jacqueline" FONTERET (1756-1837) mariée le 18 août 1781 à Romanèche-Thorins avec Jean BRÉMOND (1744-1812)
- Jeanne Marie FONTERET (1759-1841) mariée le 1er août 1791 Romanèche-Thorins avec Pierre LAURENCIER (1764-1813)
- Marguerite FONTERAY ( -> 1789)
- Jacques Paul Ambroise FONTERET ou FONTERAY (1762-après la Révolution), curé de Romanèche à la suite de son oncle
- Françoise Antoinette FONTERET (1763-)
- Thomas FONTERET (1732-)
- Jeanne Marie FONTERET (1734-)
- Nicolas FONTERET (1735-1749) - mort sans descendance
- Jacques Paul Ambroise FONTERET ou FONTERAY, curé de Romanèche-Thorins (vers 1727-1788)
- Pierre s'est marié une deuxième (ou troisième) fois le 13 janvier 1739 à Charolles (71) avec Suzanne JACQUAND (décédée après 1753). On ne sait pas quand ni où il est décédé.
Le niveau social des enfants Fonteret semble élevé, notamment quand on voit celui du frère, Jacques, tour à tour dénommé notaire, procureur, juge des terres et seigneuries de La Guiche. Si la famille était connue, peut-être l'était-elle défavorablement à cause de ce frère dont le rôle devait forcément lui attirer quelques inimitiés, à moins qu'il n'y ait aucun lien de cause à effet sur les insultes dont il fut victime. On voit que deux de ses nièces ont fait le déplacement depuis Suin, village proche de Saint-Bonnet où vit son frère Jacques, pour convoler en justes noces, évidemment pour être mariées par le curé de la famille, quitte à enfreindre l'usage du mariage au lieu de leur naissance et vie, et pas par un inconnu.
L'histoire ne s'arrête pas là. Une étude datée de 1903, "Recherches historiques sur la persécution religieuse dans le département de Saône-et-Loire", par Louis Marie François Bauzon, recense divers membres du clergé ayant subi des tracas du fait de leur fonction, pendant et après la Révolution (voir ici). Parmi ceux-ci, Jacques Fonteray, curé de Romanèche... qui ne peut-être que le successeur du nôtre, la période étudiée étant postérieure à son décès. On ne sait par contre pas en quoi ces "persécutions" consistèrent.
Jean-Baptiste Chalendon
Jean Baptiste Chalendon ou Chalandon semble être le principal "ennemi" du curé Fonteray. C'est le notaire du village, sans doute une personne instruite étant donné sa fonction. À l'époque des faits, si la généalogie trouvée ici le concerne bien (ce qui semble quasiment certain) il est âgé d'environ 35 ans, quasiment le même âge que le curé Fonteray. Ce sont donc deux jeunes hommes qui s'affrontent.
Le litige
Grâce aux photos réalisées sur place par Thierry Delaurat (un grand merci à lui), nous avons pu retrouver plus d'une centaine de pages de documents concernant le litige entre le curé et ses paroissiens. En voici le résumé :
"Écrits injurieux"
Images et transcription à consulter sur Geneanet
Il s'agit des suppliques de la population de Romanèche adressées à l'évêque de Mâcon. Celles-ci datent de mars 1766, soit 7 ans après les dernières mentions manuscrites relevées sur les registres. À les lire, on comprend qu'elles font suite à la plainte du curé Fonteray envers ses paroissiens.
Les propos tenus par l'assemblée villageoise ne sont guère flatteurs pour le curé : on l'accuse d'une part de modifier les habitudes prises depuis des "temps immémoriaux" et de profiter de ses paroissiens en leur demandant beaucoup plus que ce qu'ils devraient lui donner, en nature comme en argent, sans oublier son attitude injurieuse, ses "manières de débauche", ses "abus", "mauvais traitements" et "menaces"...
NB : le "casuel" évoqué à de nombreuses reprises est le revenu du curé, il est défini ainsi par l'Église catholique : "Offrandes faites à l’occasion des baptêmes, mariages et sépultures. C’est avec le denier de l’Église, les quêtes et les offrandes de messes l’une des ressources d’un diocèse."
Mémo sur la dîme
Images et transcription à consulter sur Geneanet
Interrogatoire de Jean-Baptiste Chalendon
En cours de transcription (merci de votre aide !), images à consulter sur Geneanet
Autres interrogatoires
En cours de transcription (merci de votre aide !), images à consulter sur Geneanet
Dépositions
En cours de transcription (merci de votre aide !), images à consulter sur Geneanet
Pièces diverses
En cours de transcription (merci de votre aide !), images à consulter sur Geneanet
Et pour conclure
L'analyse de ces documents est en cours. 25 ans avant la Révolution française, les tensions étaient déjà palpables entre les villageois et certains abus d'un clergé par toujours à la hauteur. Les documents en question fourmillent de noms, au travers de cette affaire c'est la vie dans un petit village qui réapparaît sous nos yeux. Toute précision dans la généalogie brièvement évoquée ici sera la bienvenue, ainsi que dans celles des villageois concernés !
Merci par avance !